L’avenir de Tefal et de 1 400 emplois dans la ville est-il menacé ?

Lecture 10 minute(s)

Depuis plus d’une semaine, un vent de panique souffle sur la ville concernant le devenir de Tefal, entreprise emblématique du territoire implantée à Rumilly depuis 1961. La proposition de loi (PPL) «visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoralkylées» (PFAS), du député écologiste de Gironde Nicolas Thierry, devant être débattue et votée jeudi 4 avril à l’Assemblée nationale, fait redouter la fermeture des sites de production qui aurait pour conséquence la disparition de près de 3 000 emplois en France dont 1 400 à Rumilly et 100 à Tournus (Saône-et-Loire). Face à ce risque, la direction du groupe Seb, de nombreux salariés, divers syndicats et des élus du territoire dont le maire de Rumilly ont choisi de se mobiliser main dans la main contre cette proposition de loi et de se rendre à Paris le mercredi 3 avril pour afficher leur volonté de préserver les emplois et défendre l’industrie locale.

Pour rappel, dans la grande famille des milliers de PFAS, dits «polluants éternels» de par leur persistance dans l’environnement (eau, air, sols, sédiments…), certains (notamment les PFOA et PFOS) font l’objet d’une règlementation au niveau européen pour leur toxicité et leurs risques potentiels sur la santé. Ayant des propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et résistantes aux fortes chaleurs, les PFAS sont largement utilisés depuis les années 1950 dans divers domaines industriels et produits de consommation courante (textiles, emballages alimentaires, poêles, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs, etc.). A Rumilly, la présence de PFOA dans l’eau destinée à la consommation humaine a été révélée au grand public à l’automne 2022. Trois entreprises industrielles locales ont alors été identifiées comme sources potentielles de contamination, dont le site industriel de Tefal qui a cessé d’utiliser des PFOA en 2012 et qui a remplacé son process industriel par du PTFE (polytétrafluoroéthène).

Une proposition de loi qui inquiète Rumilly et tout un territoire

La proposition de loi du député écologiste vise entre autres à «interdire la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des produits contenant des PFAS, tenant compte de la disponibilité d’alternatives aux PFAS pour les produits considérés. Quatre usages sont ciblés pour une interdiction dès juillet 2025. Ces usages - produits destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, cosmétiques, fart et textiles - sont identifiés par l’Agence européenne des produits chimiques comme des produits pour lesquels des alternatives sont connues et disponibles. Pour les autres usages, l’interdiction est prévue pour entrer en vigueur en juillet 2027, date à laquelle le projet d’interdiction européenne soutenu par la France devrait également aboutir». Tefal, l’un des plus grands et plus célèbres fabricants d’ustensiles de cuisine au monde, avec sa célèbre poêle antiadhésive, est donc directement menacé par cette proposition de loi si elle venait à être adoptée. Elus, syndicats et représentants du groupe Seb ont pris la parole pour faire part de leur positionnement et exprimer leur état d’esprit à quelques jours du vote des députés.

 

Groupe Seb : «Les produits Tefal ne contiennent pas de PFAS considérés comme nocifs»

La veille du rassemblement prévu aux Invalides, la direction du groupe Seb (via un communiqué) dit «soutenir l'appel à manifester des organisations syndicales et sera aux côtés des syndicats et de l'ensemble des salariés de Tefal comme des autres sites industriels venus les soutenir pour défendre leurs emplois, leur savoir-faire et l'excellence industrielle française». Le groupe affirme que «les produits Tefal ne contiennent pas de PFAS considérés comme nocifs pour la santé humaine ou l'environnement par les autorités sanitaires. Nos revêtements sont fabriqués à partir de PTFE, une substance reconnue depuis plus de 50 ans pour son innocuité. Pourtant, elle est aujourd'hui concernée par cette interdiction, alors que son utilisation dans la fabrication des articles culinaires représente 0,5% des PFAS produits dans le monde. Cette généralisation française, sans base scientifique et allant au-delà des projets actuellement en débat au niveau européen, menace le savoir-faire, nos usines et plus généralement la souveraineté industrielle française». Les porte-paroles de Seb précisent qu’«en prévoyant l'interdiction des PFAS dans les ustensiles de cuisine, c’est tout un secteur industriel français qui peut être amené à disparaître, de la production jusqu'à la réparabilité de nos produits, les pièces détachées contenant, pour certaines d'entre elles, du PTFE» avant de conclure : «une fois de plus, la France veut se doter d'une législation plus contraignante que l'Europe, sanctionnant la dernière usine à fabriquer des poêles et casseroles sur son sol».

Syndicat Force Ouvrière Tefal-Groupe Seb : «Le PTFE est approuvé pour le contact alimentaire»

Selon le syndicat Force Ouvrière Tefal-Groupe Seb, «il est crucial de distinguer les différents types de PFAS pour évaluer correctement leurs impacts sur la santé publique, l’environnement et l’économie». A quelques heures du départ pour la capitale où plus de 600 salariés du groupe sont attendus dont plus de 400 venus de Rumilly (via 8 cars), le délégué syndical central Riad Boulassel dit ressentir «de la colère, de la peur et de la frustration, car cette loi vient scier la branche sur laquelle nous sommes assis au niveau de l’industrie française. Il y a quand même une norme européenne qui est en train de se mettre en place par rapport aux PFAS, diligentée par cinq pays, où une étude sur une centaine de molécules arrive à son terme avec un rendu en septembre 2024». Il souligne qu’«une vraie réflexion s’est mise en place, notamment sur les délais pour éviter de faire couler toute l’industrie en Europe car des PFAS, il y en a quasiment partout». Riad Boulassel se questionne aussi sur les alternatives du futur : «Demain on va remplacer les PFAS par autre chose, mais est-ce qu’on est sûrs que ce ne sera pas pire pour la santé ? Personne ne peut le dire à ce jour». Concernant la proposition de loi, il estime que «les arguments avancés ne sont pas faux et sont même honorables, mais ils visent clairement une industrie chimiste et non pas une entreprise qui fabrique des ustensiles de cuisine, car des tests sont effectués et le PTFE est approuvé pour le contact alimentaire». Le délégué syndical ne peut s’empêcher de penser au «tissu social qui pourrait être fracturé, avec des centaines de familles directement touchées».

[[{"fid":"41279","view_mode":"default","fields":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false},"link_text":null,"type":"media","field_deltas":{"1":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false}},"attributes":{"height":412,"width":618,"class":"media-element file-default","data-delta":"1"}}]]

Riad Boulassel entouré de salariés FO, la veille du départ pour manifester à Paris.

 

Christian Dulac : «On ne peut se permettre de faire des propositions de loi couperet»

Le maire de Rumilly Christian Dulac, aux côtés d’élus du territoire, apporte son soutien à l’entreprise Tefal et à tous ses salariés face à cette proposition de loi, expliquant vouloir «défendre les emplois sur le bassin rumillien et sur le bassin de la Communauté de communes Rumilly Terre de Savoie, sans négliger les questions environnementales et de santé publique ». Il juge toutefois cette proposition de loi «précipitée» et «trop large» qui «en leur demandant d’arrêter leur production, met les entreprises en difficulté. Or, plutôt que de les sanctionner, on doit travailler avec les entreprises et trouver des solutions pour que demain on arrive à endiguer cette pollution qui est présente depuis des décennies». On ne peut se permettre de faire des propositions de loi couperet qui coupe la tête à l’industrie avec un impact énorme sur les emplois». Côté solutions, Christian Dulac estime qu’il faudrait «réunir les politiques et les industriels, qu’ils discutent ensemble et qu’ils posent leurs armes à l’entrée de la salle : chacun a tendance à croire qu’il a raison mais à un moment il faudra un consensus de manière à faire évoluer les choses». Les élus de Rumilly se mobilisent et alertent donc sur les conséquences de l’adoption éventuelle de cette proposition de loi. «Les questions environnementales soulevées par ce projet de loi et l’utilisation des PFAS doivent être étudiées en collaboration entre les instances de santé nationales et européennes, les industriels et les élus de manière constructive et non précipitée». Une délégation d’élus du territoire, en présence du maire de Rumilly a décidé de se joindre à la manifestation.

 

Véronique Riotton : «On n’interdit pas lorsqu’il n’y a pas d’alternatives»

Véronique Riotton, députée de la première circonscription, explique qu’«à l’Assemblée nationale, il y a une règle très importante qui est la représentation des différents groupes politiques, soit 10 sur cette mandature». Elle précise que «tout le règlement vise à donner la parole aux oppositions lors des niches parlementaires où chaque groupe politique en profite pour porter son projet politique et écrire des textes. Il y a donc deux façons de légiférer : les projets de loi qui émanent du gouvernement, que nous travaillons en commission, et les propositions de loi qui sont écrites par un parlementaire». Selon la députée, «généralement, les oppositions en profitent aussi, en plus de dérouler leur programme, pour faire du buzz médiatique». Jeudi 4 avril est la journée de la niche parlementaire des écologistes : «Ils ont plusieurs textes pour lutter contre les PFAS, ce qui est légitime. Car oui, les PFAS sont une préoccupation majeure, dont il faut débattre, mais on n’interdit pas lorsqu’il n’y a pas d’alternatives, raison pour laquelle nous, élus de la majorité, nous voulons voter ce texte en l’amendant et l’amendement sera d’exclure les ustensiles de cuisine»… Auquel cas, selon la parlementaire, Tefal ne serait pas en danger à cause de ce texte. Elle affirme que l’urgence est d’«aider les industriels à trouver des alternatives» et qu’il est nécessaire de «faire cesser les rejets industriels, recenser l’intégralité des sites pollués, contrôler les PFAS dans tous les milieux, détruire les stocks de PFAS, traiter les pollutions historiques, lancer des initiatives plutôt dans une dynamique européenne et intensifier le développement des alternatives».

A l’heure du bouclage, mercredi 3 avril, le vote n’a pas encore eu lieu. Deux scénarios se profilent donc : soit la proposition de loi est adoptée et menace l’avenir proche de Tefal, soit la proposition de loi est adoptée avec un amendement excluant les ustensiles de cuisine, auquel cas l’entreprise phare du territoire devrait pouvoir continuer son activité.

Publicité

Lire aussi

Icone

Hebdo des Savoie

www.hebdo-des-savoie.fr

Ajouter à l'accueil