Emmaüs et la Fondation annoncent des mesures
Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre ont révélé de nouveaux faits graves à l'encontre de l'abbé Pierre, concernant des violences sexuelles commises sur plusieurs femmes, dont certaines mineures. Au total, 17 témoignages s’ajoutent aux révélations de juillet dernier, portant à 24 le nombre de victimes. Face à ces accusations, les trois organisations annoncent des mesures drastiques : la Fondation Abbé Pierre changera de nom, Emmaüs France retirera la mention "fondateur" de son logo, et le lieu de mémoire à Esteville restera définitivement fermé.
Le rapport publié le 4 septembre 2024 par le groupe Egaé constitue une analyse détaillée des témoignages reçus suite aux révélations concernant des violences sexuelles attribuées à l'abbé Pierre. Commandé par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, ce dispositif d’écoute et de recueil de témoignages fait suite aux premières accusations dévoilées en juillet 2024. Le rapport se veut un point d’étape pour évaluer l’étendue des faits signalés et proposer un accompagnement aux victimes.
Contexte et mise en place du dispositif
En juillet 2024, à la suite de la publication de faits de violences sexuelles commis par l’abbé Pierre, un dispositif d’écoute et de recueil de témoignages a été instauré. Ce dispositif a pris la forme d’une boîte mail et d’un numéro de téléphone, permettant aux victimes ou témoins de laisser des messages, et ce jusqu’au 31 décembre 2024.
Le groupe Egaé, composé de six experts spécialisés dans la prévention des violences sexistes et sexuelles, a été chargé de la gestion des témoignages. Chaque message ou appel a fait l'objet d'une réponse pour proposer un entretien, soit téléphonique soit en visioconférence. Ces entretiens avaient pour but de recueillir les récits des victimes afin d’établir une synthèse des faits, sans viser à corroborer juridiquement les accusations dans un cadre contradictoire.
Méthodologie du rapport
L'appel à témoignages a été lancé le 17 juillet 2024 à travers un communiqué de presse et diffusé sur les sites internet des organisations concernées. Ce dispositif a rapidement recueilli des témoignages variés, certains portant directement sur des faits de violences commis par l'abbé Pierre, d'autres exprimant tristesse, déception ou soutien au travail de transparence initié par Emmaüs.
Entre juillet et septembre 2024, le groupe Egaé a reçu une cinquantaine de mails et une vingtaine de messages téléphoniques. À l'issue des entretiens, 17 témoignages précis ont été identifiés, venant s’ajouter aux 7 déjà rendus publics lors de la première vague d’accusations. Ces témoignages concernent majoritairement des faits de violences sexuelles sur des femmes, tant mineures que majeures, survenus en France mais aussi à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Maroc, en Suisse et en Belgique.
Nature des témoignages
Les faits rapportés s’étendent sur une longue période, des années 1950 aux années 2000. Les témoignages décrivent divers types de comportements inappropriés ou criminels de la part de l'abbé Pierre :
• Attouchements et baisers forcés : Une partie des récits évoque des contacts physiques non consentis, comme des attouchements sur la poitrine ou des baisers forcés.
• Violences sexuelles graves : Certains témoignages rapportent des faits de pénétration sexuelle, de fellations forcées ou de violences répétées sur des victimes vulnérables, y compris des mineures.
• Propos à caractère sexuel : D'autres récits décrivent des comportements de harcèlement ou des propositions sexuelles explicites, parfois dans un contexte de différence d’âge importante entre l’abbé Pierre et ses victimes.
Les victimes étaient, pour la plupart, des bénévoles d’Emmaüs, des salariées d’établissements où l’abbé Pierre séjournait (hôtels, cliniques) ou des personnes venues solliciter de l’aide. Dans certains cas, les récits indiquent des faits survenus lors de déplacements internationaux, comme au Maroc en 1956 ou aux États-Unis en 1955. Un témoignage, par exemple, décrit des faits commis sur une jeune fille de 18 ans à Rabat, où l'abbé Pierre l'aurait forcée à le masturber.
Réactions des victimes
Le groupe Egaé relève que beaucoup de victimes expriment un sentiment de soulagement à la suite de la publication de ces faits. Pour certaines, cela leur a permis de se sentir moins seules et de partager enfin leur histoire, longtemps tue en raison de la stature publique de l’abbé Pierre. Plusieurs victimes affirment que la réputation d'abbé Pierre comme figure quasi-sacrée les a empêchées de parler plus tôt, de peur de ne pas être crues.
L’impact émotionnel de ces violences est très fort : certaines personnes se disent profondément marquées, que ce soit dans leur développement affectif ou dans leur vie personnelle. D’autres témoignent de l’existence de comportements similaires à ceux qu’elles ont subis, confirmant une certaine récurrence des agissements de l’abbé Pierre sur plusieurs décennies.
Accompagnement proposé par Emmaüs
En réponse aux témoignages, Emmaüs a mis en place deux types de soutien pour les victimes :
1. Un accompagnement psychologique, avec la possibilité pour les victimes de consulter une psychologue spécialisée dans le psychotrauma.
2. Des rencontres avec les dirigeants du Mouvement Emmaüs, pour celles qui souhaitent exprimer directement leurs ressentis ou obtenir des réponses.
À ce jour, 7 victimes ont bénéficié d’un suivi psychologique, et 8 autres ont exprimé le souhait de rencontrer des responsables du Mouvement Emmaüs.
Faut-il débaptiser les rues portant le nom de l’Abbé Pierre ?
Face à ce rapport mettant en lumière la gravité et l’étendue des violences sexuelles présumées commises par l'abbé Pierre, certaines Municipalités ont décidé ou lancé une réflexion, sur des lieux symboliques, des rues, des statuts, qui rendaient hommage à l’Abbé Pierre. C’est le cas pour Aix-les- Bains qui voie une de ses rues porter son nom. «Pour le moment, nous devons nous poser la question au sein de la majorité de savoir s'il faut ou non enlever la nomination de cette rue. Puis c’est au Conseil Municipal qui devra trancher et, dans cette éventualité, donner un nouveau nom» commente le Maire, Renaud Beretti. Rien donc n’est exclu pour le moment, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.