«Ecrire la vie des gens avant qu’ils disparaissent»
Photo : Claire Castelar
Catherine Francoz, habitante de Cessens en Savoie, a exercé pendant plus de 20 ans la profession de biographe. Aujourd’hui retraitée, elle revient sur ces années où elle a écrit plus d’une centaine de récits de vie et de chroniques de villages afin de sauvegarder et transmettre la mémoire individuelle ou collective des anciens.
Spécialisée dans les biographies familiales
Après avoir mené une carrière en entreprise à divers postes, Catherine Francoz a profité d’un licenciement économique en 1990 pour se consacrer à sa vie familiale et réfléchir à son évolution professionnelle. Durant cinq ans elle s’est occupée de ses trois filles puis a choisi de se lancer en indépendante. Son projet initial étant de taper les manuscrits d’écrivains, elle décide d’appeler un historien et auteur, avec qui elle avait sympathisé quelques années plus tôt, pour le questionner sur ses éventuels besoins «mais sa femme m’a annoncé son décès». Très affectée, Catherine a alors un déclic : «Il faut écrire la vie des gens avant qu’ils disparaissent». Elle se lance à la fin des années 1990 comme écrivain public spécialisée dans les biographies familiales. «C’était un projet assez novateur. Certains n’y ont pas cru mais d’autres s’y sont intéressés et ont apporté leur pierre à l’édifice en me donnant des conseils ou en me guidant. J’ai fait de belles rencontres, au bon moment».
Son tout premier livre : celui de sa mère
Son tout premier livre, qui lui a servi de test, était celui de sa mère, «avec qui j’avais une relation fusionnelle. Malgré une certaine pudeur sur certains sujets, elle s’est dévoilée et j’ai découvert de nouveaux morceaux de sa vie» se souvient-elle non sans émotion. Pour la mise en forme et la conception, Catherine s’est tournée vers un ancien imprimeur de sa commune. «Nous l’avons monté ensemble en y insérant des photos, des dessins et même un arbre généalogique amovible» sourit-elle. Au début des années 2000, sa participation à la Foire de Savoie à Chambéry lui apporte de la visibilité, «les journalistes se sont emparés de mon projet et cela a eu un effet boule de neige». Tous deux formés à la reliure, son mari et elle achètent du matériel pour concevoir les livres depuis leur domicile.
Des histoires incroyables de gens ordinaires
A travers ce métier qui demande une grande capacité d’écoute et d’empathie, face à toutes sortes de personnages et personnalités, Catherine entrait inévitablement dans l’intimité des êtres. «J’en ai fait remonter des émotions, j’en ai fait pleurer des gens». Elle explique que l’objectif était de «rester le plus proche possible du narrateur et de son état d’esprit». Toutes les expressions récurrentes, les façons de s’exprimer, les modes de pensée se retrouvaient dans le texte. «Le but n’est pas de sortir une œuvre littéraire, et je n’aurais pas eu cette prétention, mais de restituer le récit de vie comme si la personne en était l’auteur». Catherine aime aussi l’idée d’avoir rencontré «des gens qui ont fait des choses un peu exceptionnelles mais qui sont très humbles et qui vivent dans leur petit coin, incognito. Des gens qui ne se font pas remarquer alors qu’ils ont un vécu très intéressant».
8 à 10h d’enregistrements par récit de vie
La biographe avait toujours le même procédé : «J’enregistrais les entretiens pour ne rien perdre et pour retrouver le ton, les émotions, lors de la réécoute. Nous partions sur 8 à 10h de séances. Les enregistrements permettaient aussi de structurer le texte car souvent les gens partaient dans tous les sens». Les étapes suivantes : elle rendait ce qu’elle nomme la matière, «mon texte de base voué à être affiné, complété et corrigé», avant de se lancer dans la rédaction définitive. «Il y a toujours un fil conducteur de leur vie qui ressort et mène souvent au titre». Du premier enregistrement à la remise du livre, le délai est d’au moins un an et demi, en sachant qu’elle travaillait sur plusieurs livres en même temps. Catherine a également écrit des ouvrages rassemblant des expériences ou des souvenirs collectifs pour des associations et des villages pouvant lui prendre plusieurs années de travail.
Une histoire qui l’a particulièrement marquée
Beaucoup d’histoires et de rencontres l’ont marquée, comme celle d’un habitant d’Albertville, né dans une cave en Turquie lors des attaques de la guerre d’indépendance. «Ses parents italiens ont fui vers la France pour rejoindre de la famille. Au début de la 2nde Guerre mondiale, au moment de s’engager, il a découvert qu’il était apatride. Il a donc choisi la Légion, qui permet d’obtenir une nationalité. Capturé en Afrique en tant que militaire, il a été emmené dans un camp de concentration en Silésie. Puis il a fait la «Marche de la mort» pendant un mois dans la neige. Sur les 800 partis de son camp, ils sont trois à avoir survécu». En balayant du regard ses ouvrages, d’autres souvenirs inoubliables lui reviennent. Des histoires d’amour, de familles, de deuils, de retrouvailles, de renaissance, de combats…
Des femmes qui se sont battues pour les droits des femmes
Catherine se souvient d’une dame née dans la bourgeoisie et qui a toujours été en révolte contre son statut social. «Elle s’est tellement rebellée qu’elle a été bannie de sa famille. Elle a fait de la politique, s’est mariée trois fois, est partie en Afrique en mission humanitaire puis a ramené clandestinement des enfants». La biographe pense également à une institutrice envoyée seule en montagne avec sa fille qui venait de naître pendant que son mari était resté enseigner à Chambéry : «Elle s’est battue pour la condition de la femme notamment dans le milieu professionnel. Les instituteurs étaient gardés en vallée avec un 2e poste de secrétaire de mairie pour compléter leurs revenus pendant que les femmes étaient isolées en montagne avec un petit salaire». Concernant ses récits masculins, tous ses clients lui ont accordé leur confiance et n’ont manifesté aucun a priori quant au fait qu’une femme raconte une vie d’homme.
A quand l’écriture de sa propre biographie ?
«J’y pense, mes filles me le demandent et j’ai déjà pris des notes. Ce travail m’a beaucoup plu dans les rencontres, l’écriture mais le gros inconvénient c’est que j’ai passé beaucoup de temps devant mon écran d’ordinateur. Aujourd’hui je m’occupe du jardin, de la maison, je bouquine et je me suis mise au crochet. Je suis partante pour conseiller des gens qui veulent écrire leur histoire ou qui voudraient se lancer dans l’écriture de biographies mais je ne veux plus m’engager dans quoi que ce soit car j’ai besoin de prendre du temps pour moi».