Crise sanitaire : Dermatose Nodulaire Contagieuse bovine – une réunion d’urgence sous tension
Photo d'illustration ©Claire Castelar
Suite à la confirmation dimanche 29 juin d'un foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) dans un élevage bovin à Cessens (Entrelacs), le tout premier cas en France, des mesures radicales ont été prises pour éviter la propagation du virus. Conformément au droit européen qui impose l'éradication immédiate de cette maladie de catégorie A, le troupeau d'une cinquantaine de vaches a été euthanasié dès le lendemain. Face à l'inquiétude grandissante du monde agricole, les services de l'Etat ont organisé une réunion d'urgence mercredi 2 juillet en présence des préfètes de Savoie et Haute-Savoie, à laquelle plusieurs centaines d'éleveurs et de producteurs ont participé. La tension était palpable, entre incompréhension, détresse, appel à l'aide et colère. "Etant une maladie récente en France, nous n'avons pas les réponses à toutes les questions " a annoncé d'entrée Vanina Nicoli, préfète de Savoie. " Pour celles que nous n'avons pas, nous les relaierons au niveau national et nous reviendrons vers vous pour vous donner les réponses ".
"La période d'incubation est de 4 à 14 jours mais peut atteindre 1 mois"
Cette maladie virale ne touche que les bovins, buffles, zébus. "Il n'y a pas de risque pour la santé humaine" a assuré la préfète de Haute-Savoie Emmanuelle Dubée. Les symptômes de la DNC sont une apparition brutale de nodules sur la peau, les muqueuses et les membranes, accompagnés de forte fièvre. Elle se transmet entre animaux par piqûre de mouches charbonneuses et de taons. "La période d'incubation est de 4 à 14 jours mais peut atteindre 1 mois" a informé Emmanuelle Dubée. Jusqu'alors présente en Afrique du Nord, la DNC a surgi une semaine plus tôt, le 22 juin, en Italie (Sardaigne puis Lombardie). La réglementation européenne prescrit le dépeuplement de l'ensemble des troupeaux infectés et l'instauration de zones réglementées autour des foyers afin d'éviter l'installation et la dissémination du virus (zone de protection de 20km autour du foyer et zone de surveillance de 50km autour du foyer). Concernant ce tout premier foyer identifié en France, " Il n'y a pas eu de failles en matière de sécurité ni de mauvaise gestion de l'élevage. Donc il n'y a pas de reproches à se faire. C'est une fatalité ".
"Une course contre la montre"
Dès la confirmation de l'infection par le laboratoire national de référence (situé à Montpellier), un arrêté préfectoral a été publié dans la nuit du 29 au 30 juin avec des mesures d'urgence (qui concernent 4 départements : la Savoie, la Haute-Savoie, l'Ain et l'Isère). La 1ère, l'euthanasie des animaux du foyer sur place, est un crève-cœur pour les éleveurs. "Nous avons bien conscience du caractère violent de la situation" s'accordent à dire les deux préfètes. "Actuellement, au moins deux situations sont sous observation importante et l'une va faire l'objet d'une euthanasie préventive d'une partie de l'élevage". Des contrôles ont été déployés sur la zone règlementée. "Une course contre la montre est opérée par les vétérinaires des services de l'Etat pour pouvoir évaluer le plus justement possible la situation. On a d'ores et déjà ce premier cas et des suspicions fortes en proximité immédiate" alerte la préfète de Savoie. Après l'abattage viennent aussitôt le nettoyage, la désinfection puis l'équarrissage. Autre mesure : la mise sous surveillance des cheptels voisins. Les déplacements d'animaux à l'intérieur du périmètre concerné sont fortement réduits et ceux vers l'extérieur sont proscrits (exceptions pour se rendre à l'abattoir). "Ces mesures sont sévères, nous comprenons que vous n'avez pas envie de les entendre mais nous les assumons, considérant qu'il y a encore une chance de limiter l'impact".
"Refaire un troupeau, ça ne prend pas trois mois ni un an"
Face à ces annonces, diverses réactions et questions ont jailli dans la salle. "Serait-il possible de créer un canal de communication efficace, transparent et pratique pour qu'on ait tous les mêmes infos en même temps, éleveurs, producteurs, vétérinaires?" a demandé sans attendre une agricultrice, avant d'enchaîner : "Qu'est-ce qui est mis en place pour l'accompagnement des agriculteurs, sur les plans financier et psychologique ? Car refaire un troupeau, ça ne prend pas trois mois ni un an, c'est beaucoup plus long". Une autre éleveuse se questionne : "Quand vous tuez les bêtes, les taons vont sur des bêtes vivantes donc est-ce la bonne solution d'euthanasier ?". "Quand des personnes viennent sur les exploitations pour nous annoncer la mauvaise nouvelle, ce serait bien qu'elles fassent preuve d'un peu plus de diplomatie, de tact et que les promesses qui ont été exprimées soient tenues" supplie la fille de l'éleveur dont une partie du troupeau sera euthanasiée le surlendemain.
"Ces mesures sont complètement disproportionnées"
"Ces mesures sont complètement disproportionnées par rapport à la gravité réelle de la maladie. Pourquoi fait-on des arrêtés préfectoraux, des réunions ? Vous êtes tous au courant que nous sommes dans un contexte où le climat se réchauffe et où les maladies exotiques sont toutes à nos frontières. Aujourd'hui c'est la dermatose nodulaire et demain ce sera quoi ? Qu'est-ce qu'on va faire ? On va vraiment piquer tous les animaux ? Et après ce sera les humains ?" s'indigne et s'inquiète une agricultrice. "Est-ce qu'on peut faire quelque chose au niveau de l'Europe pour réfléchir à cette loi et à la façon de gérer les choses ?".
"Pas juste des belles paroles pour apaiser la colère"
"Etant jeune installée avec mon mari, si demain on abat tout le troupeau, notre ferme coule. On n'est pas les seuls ici. Et on pense à toute la filière car demain c'est toute une économie qui s'écroule" déplore une jeune éleveuse, la gorge nouée. "On a beau gueuler, on a beau manifester, on a des belles paroles promises tous les ans et tous les ans c'est la même chose : on se bat pour pas grand-chose car derrière il y a toujours quelqu'un pour nous mettre le coup de massue. On espère que vous penserez vraiment à nous jusqu'au bout. Que ce ne sont pas juste des belles paroles pour apaiser la colère de tout le monde".
"On se prend tous une claque dans la gueule"
Le vétérinaire rumillien qui a procédé à l'euthanasie du troupeau en appelle à la responsabilité de chacun. "On se prend tous une claque dans la gueule. C'est pas facile, c'est du sale boulot et même si cela m'a marqué, même si je n'étais pas toujours d'accord avec les décisions prises sur le terrain, j'ai des responsabilités. Nous avons tous des responsabilités alors s'il vous plaît, ne cachez pas vos bêtes et appelez-nous. Elles peuvent être porteuses sans symptôme".
La piste de la vaccination
Les préfètes ont assuré comprendre le désarroi des éleveurs et répété devoir agir dans l'urgence : "Nous faisons tout ce que nous pouvons et la mobilisation est totale". Concernant les aides, des indemnisations sur la valeur du cheptel perdu sont prévues, ainsi que la mise en place d'une cellule médico-psychologique. Dans cette crise, une lueur d'espoir a toutefois été évoquée : la piste de la vaccination. "Le vaccin existe, et il y en a en réserve dans la banque vaccinale de l'Union européenne. La ministre de l'Agriculture a porté cette demande, nous attendons les retours". D'après les informations énoncées, il s'agit d'un vaccin unidose avec une incubation de 21 jours. "Concernant les délais, il faudra sûrement attendre la fin de l'été, mais nous espérons que ce sera avant". La députée de la 1ère circonscription de Savoie, Marina Ferrari, a pris la parole : " Nous préparons le pire, mais notre objectif n'est pas d'aller au pire, c'est de l'éviter et d'avoir rapidement cette solution vaccinale". Avant de conclure ces deux heures d'échanges parfois houleux, un éleveur a appelé au calme et à la solidarité : "Il faut se battre tous ensemble pour trouver des solutions plutôt que de se battre entre nous". Dès le lendemain, la préfète de la Savoie, a activé le centre opérationnel départemental (COD) afin de coordonner l'ensemble de services impliqués dans la gestion de cette crise.
Numéro pour les éleveurs en Savoie
La direction départementale de l'Emploi, du Travail, des Solidarités et de la Protection des Populations (DDETSPP) a activé une ligne téléphonique pour répondre aux questions des éleveurs : 04 56 11 05 73 du lundi au vendredi de 8h30 à 18h00.
Depuis la réunion du 2 juillet en présence du monde agricole, la préfecture de Savoie a pris l'initiative de publier un point de situation par jour. Le dernier dont nous avons pu prendre connaissance avant notre bouclage est celui du lundi 7 juillet au soir. Il y est spécifié qu'à ce jour, "62 bovins ont dû être euthanasiés selon les directives nationales". Il y est également dévoilé que "suite à la réalisation de prélèvements au cours du week-end, les deux foyers de la commune d'Entrelacs se sont révélés positifs" et que "par ailleurs, une nouvelle suspicion est en cours d'investigations à Saint-Jean-de-Chevelu". Dans ce même communiqué, l'on peut lire que "Conformément aux directives nationales et afin d'enrayer la propagation de la maladie, les autorités sanitaires raisonnent en unité épidémiologique. Une unité correspond à un groupe de bovins vivant ou ayant vécu à proximité les uns des autres au cours des 28 derniers jours. Une suspicion désigne une unité dans laquelle au moins un bovin serait porteur de la DNC. Une même exploitation peut donc contenir plusieurs unités épidémiologiques". Dans la zone de protection des 20km, 180 élevages doivent être visités. D'autre part, depuis le 4 juillet, une cellule d'urgence médico-psychologique a été activée à destination de l'ensemble de la communauté agricole. Du côté de la Chambre d'agriculture Savoie Mont-Blanc, le réseau Réagir est également à l'écoute des agriculteurs (06 50 19 15 60 ou reagirdessavoie@smb.chambagri.fr). De plus, le président Cédric Laboret et son équipe s'engagent à faire "le maximum pour collecter et transmettre à tous les éleveurs et leurs familles des éléments d'informations fiables".