«A mesure que les jours passaient…»
Parmi tous les bonheurs que me procure ma position, confortable, de chroniqueuse anonyme, il y en a un qui me comble et dont je ne me lasse pas. Ce sont vos lettres et autres messages par voie informatique. Pas vraiment très nombreux, je dois bien le dire : je ne reçois pas un courrier de ministre ou de star. Et puis, je suis un peu fainéante, je néglige, par exemple, de nourrir ma page facebook au fonctionnement de laquelle je reste décidément plutôt imperméable…
Pas très nombreux, mais toujours agréables, même quand, quelquefois, ils me rappellent un peu à l’ordre, gentiment. Et j’avais envie (je crois que je l’avais déjà fait une autre fois) de vous remercier, vous mes correspondants anonymes ou pas.
Cette semaine, j’ai reçu cette citation de «La Peste» d’Albert Camus, publié en 1947. Je vous la livre : «Mais à mesure que les jours passaient, on se mit à craindre que ce malheur n'eût véritablement pas de fin et, du même coup, la cessation de l'épidémie devint l'objet de toutes les espérances».
Ouah ! J’avais déjà pensé à ce roman dont la lecture remonte, pour moi, à quelques années, qui passe désormais pour prémonitoire et dont on parle beaucoup en ce moment. Et j’ai lu pas mal de choses sur le sujet, sur le côté universel de cette allégorie qui parle, en fait, du mal qui ronge notre humanité. Et aujourd’hui, cette phrase n’a jamais été aussi actuelle.
Mais que «la cessation de l’épidémie [soit devenue] l’objet de toutes les espérances» ne peut cacher que, au fil de ces journées de déconfinement, on n’a pas tous le même regard sur un «après» que l’on n’imagine pas vraiment tous de la même façon.
Je parlais il y a quelques semaines des files de voitures dont les conducteurs attendaient leur tour devant le drive d’un fast-food.
On a constaté les retours des «fashion victims» devant les magasins des grands distributeurs de vêtements. Et les exemples ne manquent pas.
Pourtant, ces derniers temps, on a entendu de beaux discours sur la malbouffe et la nécessité de revenir à des achats locaux.
On a crié tous ensemble «Stop» aux importations massives de produits fabriqués à bas coût à l’autre bout du monde, et à la disparition de notre potentiel industriel.
On a rêvé d’un monde moins pollué, plus responsable. Bref, on a semblé devenir à nouveau intelligents. Mais aujourd’hui ? Tout ce qui nous importe, c’est de savoir quand on pourra repartir en week-end à Barcelone ou Marrakech !
Si, comme on l’espère tous, on voit arriver «la cessation de l’épidémie», il va peut-être falloir quitter cette posture hypocrite. Et regarder les choses en face.
Contrairement à ce que le confinement nous a fait croire, le monde n’est pas devenu gratuit. Et si, durant quelques semaines, on a eu au bout de la souris le monde entier, si films et concerts ont été offerts virtuellement, si depuis leurs villas confortables nombre de stars nous ont donné l’illusion d’un monde de douceur confinée, il nous faut revenir, peu à peu, à un monde réel où, une fois la menace au moins contenue, nous devrons quitter cette posture d’assistés.
«A mesure que les jours passaient…». Michel Piccoli est mort, je me souviens de «Themroc»…
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