«Briser cette loi du silence est fondamental dans l’action que l’on mène ensemble»
Dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, plusieurs évènements étaient organisés en Haute- Savoie par la Déléguée départementale aux droits des femmes et ses partenaires afin de sensibiliser les professionnels, les élus et le grand public.
Apres une formation sur les violences intrafamiliales destinée aux forces de l’ordre (au sein du groupement de gendarmerie départementale) et un séminaire à l’attention des professionnels sur la thématique «le continuum des violences faites aux femmes» (à l’auditorium de Seynod), une session de sensibilisation sur les violences conjugales pour les élus de Haute-Savoie (députés, sénateurs, conseillers départementaux, maires, adjoints, conseillers municipaux…) s’est déroulée vendredi 24 novembre dans les locaux du Conseil départemental à Annecy.
«Manquer la plainte, le témoignage, peut conduire à des conséquences tragiques»
Cette matinée, animée par l’AVIJ des Savoie (Aide aux Victimes et Intervention Judiciaire), la Gendarmerie nationale et le Tribunal judiciaire d’Annecy, a permis d’aborder les différentes formes de violence, la politique pénale et les dispositifs judiciaires (téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement, éviction du conjoint violent, ordonnance de protection des victimes…), le parcours de la victime (modalités de plainte et conséquences), l’accompagnement des victimes par les associations et la question de la responsabilité des élus. Le préfet Yves Le Breton a ouvert la séance pour évoquer la mobilisation des services de l’Etat en lien avec les collectivités locales et les associations.
«La lutte contre les violences faites aux femmes est une question centrale dans l’action des forces de sécurité et représente une activité importante. Je me rendrai tout à l’heure à notre réunion hebdomadaire avec les forces de police, de gendarmerie et l’ensemble des forces de sécurité» informe le préfet. «Pour les policiers et les gendarmes, ce sujet préoccupant est devenu quasi obsessionnel car manquer la plainte, le témoignage, peut conduire à des conséquences tragiques». Il ajoute que «tout est fait pour que cette chaîne de sécurité au profit des femmes victimes de violences soit la plus efficace et la plus protectrice possible».
Yves Le Breton, au travers de ses nombreux contacts avec les élus du département, constate que cette question de violences intrafamiliales et de violences faites aux femmes est au coeur de leur fonction. «Les élus sont souvent amenés à avoir les témoignages directs des victimes ou de leur entourage. Briser cette loi du silence est fondamental dans l’action que l’on mène ensemble». Il souligne également le rôle primordial des associations qui assurent souvent le rôle d’accueil et de prise en charge.
En 2022, 118 femmes décédées sous les coups d’un conjoint ou ex-conjoint
Le préfet a communiqué des chiffres alarmants, au niveau national et départemental. En France, une femme sur trois meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, «des chiffres qu’il est difficile aujourd’hui de voir diminués». En 2022, 240 000 femmes de 18 à 75 ans ont été victimes de violences (+13% par rapport à 2021) : «Est-ce une réelle progression du nombre de victimes ou est-ce le nombre de plaintes qui augmente ? Difficile d’y répondre». En 2022, 118 femmes sont décédées de violences conjugales (-3% par rapport à 2021), 27 hommes (+29% par rapport à 2021) et 12 enfants (autant qu’en 2021), soit un total de 145 décès dans la sphère conjugale (+1% par rapport à 2021). Concernant 2023, le «Collectif Féminicides par compagnon ou ex» fait état de 92 féminicides depuis le début de l’année dont 1 en Haute-Savoie, à Cluses, le 9 novembre.
2/3 des violences dénoncées sont physiques ; elles peuvent aussi être psychologiques, avec un phénomène d’emprise, et sexuelles. «Le département n’est pas épargné par ce fléau, loin de là». En 2022 en Haute-Savoie, 711 plaintes pour violences conjugales, dont 85,6% de femmes, ont été recensées par la Police nationale et 1036 par la Gendarmerie nationale, dont 83,% de femmes. Sur les dix premiers mois de 2023, 499 femmes (sur 581 faits) victimes de violences conjugales ont été recensées par la Police et 842 (sur 1030 faits) par la Gendarmerie.
4 intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie
Parmi les dispositifs mis en place par l’Etat, Yves Le Breton évoque le Grenelle contre les violences conjugales de 2019 «qui reste d’actualité avec trois priorités fortes : prévenir, protéger et prendre en charge» ou encore le plan interministériel (2023-2027) pour l’égalité entre les femmes et les hommes dont la lutte contre les violences faites aux femmes constitue un pilier majeur. En Haute-Savoie, quatre intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie ont été recrutés pour accueillir, accompagner et orienter les victimes. Leur nombre pourrait être augmenté à six. «Ces intervenants, qui sont des intermédiaires très précieux pour les forces de sécurité, ont traité plus de 1100 dossiers sur les 10 premiers mois de 2023». De nombreux dispositifs (Maison de protection des familles, hébergements d’urgence, permanences d’urgence pour les professionnels…) et financements sont dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales.
Des violences qui apparaissent dans tous types de couples
Selon la psychologue de l’AVIJ des Savoie qui est intervenue, «les violences conjugales apparaissent dans tous types de couples. Des jeunes, très jeunes avec des victimes parfois âgées de 15 à 18 ans, des couples plus matures, dans la fleur de l’âge, et des couples senior. Elles se manifestent dans les couples hétérosexuels et homosexuels, avec des violences d’hommes sur les femmes, de femmes sur les hommes mais aussi d’hommes sur les hommes et de femmes sur les femmes». Elle souligne que les victimes mettent beaucoup de temps avant de demander de l’aide, pour plusieurs raisons : «elles n’identifient pas toujours le danger auquel elles sont exposées ; il va leur falloir du temps, le passage par certains cycles de violence pour comprendre ce danger. Elles vont développer tout un tas de stratégies de survie, tels que l’adaptation ou la suradaptation, la minimisation, la banalisation voire le déni ou la dissociation».
L’objectif de sensibilisation sur ce sujet est de pouvoir susciter une prise de conscience collective, y compris sociale, car tout le monde, directement ou indirectement peut être concerné.