Carole Dupessey : une femme optimiste et engagée
Carole Dupessey, arrivée en 1993 dans l’entreprise familiale, spécialisée dans le transport et la logistique, et PDG du groupe Dupessey&Co depuis 2008, est une femme d’engagement, qui en parallèle de ses activités en tant que présidente du comité de direction, mène de nombreuses actions solidaires à travers le fonds de dotation «Demains» qu’elle a créé il y a quelques années avec sa sœur Martine. Ce fonds de dotation, dont la thématique est «Prendre soin des autres, de soi et de la planète», a pour mission d’accompagner les associations qui œuvrent pour le bien-être humain et l’avenir de la planète en les aidant financièrement dans leurs projets. Dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, nous avons rencontré cette chef d’entreprise qui évolue dans un milieu essentiellement masculin. La société compte une trentaine de femmes sur plus de 500 salariés.
«Dans l’entreprise,
je ne fais jamais la distinction homme/femme»
Comment vivez-vous le fait de diriger une entreprise constituée majoritairement d’hommes ?
«J’ai eu l’avantage de grandir dans une famille qui ne faisait pas de différence entre les hommes et les femmes. Nous sommes trois enfants, deux filles et un garçon, et notre père nous a tous poussés de la même façon à faire des études. D’ailleurs, j’ai un frère et c’est moi qui dirige l’entreprise.
Dans l’entreprise, je ne fais de distinction homme/femme, les salaires sont les mêmes, il n’y aucun favoritisme ni d’un côté ni de l’autre. Ce n’est absolument pas un problème pour moi car j’ai été éduquée comme ça.
Je sais que dans notre société, il y a des problèmes d’inégalités, mais personnellement j’ai du mal à le concevoir car je n’ai jamais été confrontée à ces problématiques. Je n’ai jamais eu à me battre, ni même quand j’ai intégré l’entreprise il y a 30 ans, car je suis non pas arrivée en tant que «fille de» mais plutôt avec la légitimité de mon statut d’avocate qui m’a bien aidée : j’avais déjà fait mes preuves ailleurs».
Selon vous, y a-t-il une différence de posture entre un homme et une femme PDG ?
«La grosse différence que je vois dans les affaires, c’est l’égo des hommes, qui me semble plus développé que chez les femmes. Je trouve que les femmes dirigeantes ont moins de prétention et d’égo mal placé. Mais c’est une généralité, évidemment qu’il y a des hommes supers et inversement des femmes qui ont soif de pouvoir.
Mais cette généralité est en train d’évoluer avec les nouvelles générations. Le management n’est plus du tout le même et j’ai l’impression qu’aujourd’hui il y a un peu plus d’empathie et de respect envers les salariés, ce qu’avant on retrouvait plutôt dans des entreprises dirigées par des femmes».
«Nous avions besoin
de renforcer notre équipe dirigeante avec du sang neuf»
Vous êtes bien là où vous êtes ?
«J’aime mon métier, et je suis entourée d’une bonne équipe. Je pratique depuis quelques années la méditation de pleine conscience et cela m’aide beaucoup dans le quotidien, dans la prise de décisions et dans mon rapport aux autres.
Cependant, je prends un peu de recul, car nous avons modifié les statuts de l’entreprise qui s’appelle désormais Dupessey&Co, et je ne suis à ce jour plus que présidente du comité de direction car j’ai embauché un directeur général.
Ayant des velléités de développement, nous avions besoin de renforcer notre équipe dirigeante avec du sang neuf, parce que nous étions les mêmes depuis une dizaine d’années. Tout se passe très bien, le nouveau directeur général est certes un homme mais j’ai fait rentrer deux femmes: Audreyne, notre directrice de la communication et Catherine, directrice technique et technologique. Nous avons de plus en plus d’enjeux, on ne sait pas comment le transport va évoluer dans les années qui viennent. Nous sommes 3 femmes sur 8, ce qui est pas mal au vu de la connotation masculine de ce secteur d’activité».
Le secteur du transport a-t-il évolué, selon vous ?
«Je trouve que l’image du transport n’a pas beaucoup évolué ces dernières années, alors que plein de choses ont été faites, notamment en terme de développement durable, et puis les gens ne réalisent pas vraiment que nous sommes indispensables, on l’a vu pendant la crise Covid. On a beau avoir des industries, si la marchandise, notamment alimentaire, n’est pas transportée, cela pose de gros problèmes. Je trouve que nous ne sommes pas considérés comme nous devrions l’être. Il est temps de redorer l’image du transport, d’autant plus que ce sont des métiers attachants et l’humain est au cœur de la profession. Nous avons besoin les uns des autres, on ne peut rien faire dans le transport sans être ensemble et main dans la main, ce qui créé automatiquement des liens. Il faut une bonne entente entre tous les rouages».
«Nous travaillons
beaucoup sur le lien»
Le bien-être de vos salariés est-il important ?
«Le bien-être au travail est selon moi, essentiel. Je travaille beaucoup avec ma sœur sur ce thème, nous essayons de développer des activités pour les salariés. Comme par exemple, le carnet de gratitudes, inspiré de la psychologie positive. Nous avons offert un carnet aux salariés intéressés afin qu’ils puissent noter tous les soirs 3 choses positives qui leur sont arrivées dans la journée. Cela permet de mettre le cerveau en prédisposition de bonne humeur et d’optimisme. Les 60 volontaires ont été conquis et nous leur avons envoyé un kit pour qu’ils puissent faire participer leurs enfants.
Nous travaillons beaucoup sur le lien et avons mis en place, il y a un an, une application «Dialogue&Co» qui permet à tous les membres de l’entreprise d’échanger des informations de toute sorte. Cela fonctionne bien, cela permet d’être à l’écoute les uns des autres et d’être réactifs».
Quel lien entretenez-vous avec votre sœur, également très impliquée dans l’entreprise ?
«Nous sommes différentes en terme de caractère, mais nous avons des valeurs communes. Ayant 21 mois d’écart, nous sommes presque des jumelles. C’est elle qui m’a initiée à la méditation, elle m’apprend à relativiser, à savoir prendre du recul. Pour être dans une société de transport aujourd’hui, je pense qu’il faut faire preuve d’optimisme.
Concernant l’entreprise, nous en avons toujours discuté puisqu’elle est associée depuis le départ mais jusqu’à présent elle intervenait peu. Aujourd’hui, elle est très impliquée dans le bien-être des salariés. Je pense que notre point commun est l’empathie, et la force de notre relation, la complémentarité».
Vous avez été promue Officier de l’Ordre National du Mérite. Que cela représente-t-il pour vous ?
«Cela date de janvier 2021, je n’ai encore rien organisé, avec le contexte de crise sanitaire, mais nous prévoyons un évènement en fin d’année sur notre nouveau site. C’est une fierté, d’autant plus que j’ai déjà obtenu le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur en 2012. Ces récompenses sont une belle reconnaissance de tout ce qui a été fait dans l’entreprise, en faveur de la filière transport et logistique mais aussi concernant les différentes actions solidaires menées».
Vous qualifierez-vous de féministe ?
«On ne peut pas dire que je sois féministe car je ne vais pas militer pour défendre les femmes. En revanche, je fais beaucoup de choses, je participe à des conseils d’administration, je porte quand même la parole des femmes mais pas de manière revendicative».
Une personnalité féminine que vous admirez ?
«Je sui très admirative de Simone Weil. Cette femme était incroyable, au vu de son vécu et à travers tous les beaux combats qu’elle a menés. Elle était d’ailleurs soutenue par des hommes qui ont eu le cran de la laisser faire, ce qui à l’époque n’était pas évident. Heureusement qu’il y a des hommes qui laissent faire les femmes».
Un mot sur la situation en Ukraine ?
«C’est horrible ce qu’il se passe. Pour les populations ukrainiennes et russes aussi, parce qu’on ne parle pas vraiment du peuple russe mais quand on est dans un tel régime totalitaire, on ne peut pas bouger une oreille. Une guerre aux portes de l’Europe aujourd’hui, c’est terrifiant. Et inquiétant sur le plan du nucléaire. C’est le sujet d’aujourd’hui qui dépasse tous les autres, on a des soucis internes à gérer mais quand on sait qu’au moment où l’on parle des gens sont tués, cela permet de relativiser pas mal de choses.
En tout cas, cela nous tenait à cœur d’agir en faveur du peuple ukrainien. Nous avons organisé une collecte de dons dans l’entreprise que nous avons apportée à Boussy. Pour le convoi national du week-end dernier, nous avons mis à disposition de la Protection Civile 1 tracteur et 1 semi-remorque avec 2 chauffeurs, les mêmes qui étaient partis en 2019 sur l’opération Cœur de Gazelles, dans le désert marocain.
Nous avons également mis en place l’opération «Relier l’Ukraine» sur notre fonds de dotation».
Propos recueillis
par Claire Castelar