Claude Lelouch : «Mon métier, c’est de faire rêver les gens »
Photo : Claude Lelouch
Le cinéaste Claude Lelouch a rencontré la presse mardi 23 avril au centre culturel & des congrès André Grosjean d’Aix-les Bains pour présenter son ciné concert symphonique programmé en pré-ouverture de la troisième édition du Festival du Cinéma Français & Gastronomie. Cette icône du septième art a créé une oeuvre cinématographique composée de 51 extraits de ses 51 films : ces séquences mythiques seront projetées sur grand écran, en présence de 45 musiciens sur scène, le 3 juin prochain à 20h… Un grand moment d’émotions annoncé, à travers des images cultes sublimées par la musique de l’orchestre symphonique.
Cette rencontre fut également l’occasion d’évoquer les soixante ans de carrière de ce célèbre réalisateur, scénariste, producteur et cadreur français, multi-récompensé, qui a notamment reçu une Palme d’Or à Cannes et deux Oscars à Hollywood pour son film au succès planétaire « Un homme et une femme. »
«Un grand voyage sur ces 60 ans de cinéma»
Comment vous est venue l’idée de ce ciné concert symphonique ?
«Plusieurs personnes autour de moi l’ont évoquée, et cette idée m’est apparue comme une évidence. J’ai eu la chance de faire 51 films et la musique a été l’actrice principale de chacun d’entre eux, alors c’était important de lui rendre hommage. Cela m’a permis aussi de rendre hommage aux musiciens avec qui j’ai collaboré pour les bandes originales de mes films, comme Francis Lai et Michel Legrand, ainsi qu’à tous les acteurs qui ne sont plus là. Je me suis dit que ce serait une façon formidable de les faire revivre. Les deux ciné concerts qui ont eu lieu à Paris ont rencontré un immense succès, chaque spectateur a pu surimpressionner ses souvenirs, sa nostalgie, ses émotions, et cela m’a donné envie de poursuivre pour en faire profiter un maximum de gens. C’est un grand voyage sur ces 60 ans de cinéma que j’ai eu la chance de faire.»
«La musique et le cinéma étaient faits pourse rencontrer»
Qu’est-ce qui vous touche autant dans la musique ?
«La musique fait partie de ma vie, de mon quotidien. C’est mon médicament principal, j’ai besoin d’elle. La musique fait travailler notre imagination, elle parle à tout le monde, il n’y a pas besoin d’une culture préalable, c’est comme le cinéma. Le cinéma est un art naturel, dans la mesure où nous sommes tous des cinéastes. Les yeux, c’est la plus belle caméra du monde, nos oreilles ce sont les plus beaux micros du monde et notre mémoire, c’est une salle de montage. Aujourd’hui sur cette terre des milliards de gens filment avec leur téléphone portable, avant ils filmaient avec leurs yeux et leurs oreilles. Un scénario peut faire rire et pleurer, la musique peut donner la chair de poule. La musique et le cinéma étaient donc faits pour se rencontrer. Et j’ai eu la chance de comprendre très vite compris qu'ils allaient être pour moi le couple idéal.»
«En 1942 ma mère et moi nous nous sommes cachés ici»
Avez-vous un lien particulier avec Aix-les-Bains ?
«Je suis très heureux de faire un ciné concert dans votre jolie ville que j’ai bien connue. Quand j’avais 5 ans en 1942 ma mère et moi nous nous sommes cachés pendant plusieurs semaines ici chez des cousins et au Mont Revard car nous étions recherchés par la Gestapo. Je suis depuis repassé par Aix-les-Bains quelques fois, en touriste, et à chaque fois que je traverse la ville, ce souvenir ému me revient. Quand j’ai fait mon service militaire au Bourget-du-Lac, je suis retourné plusieurs fois en hélicoptère sur le Mont Revard. J’ai donc plein de petits souvenirs dans le coin.»
«Si j’ai pu faire 51 films, c’est aussi grâceau public»
Comment êtes-vous arrivé jusqu’à ce festival aixois ?
«Ce qui me motive, ce sont les gens qui m’invitent. Et quand on m’invite quelque part j’ai plutôt tendance à dire oui. Donc quand on m’a proposé de venir ici j’ai dit oui tout de suite, avec en plus cette nostalgie de mon enfance dont je viens de parler. Si mon emploi du temps me le permet, j’aime aller à la rencontre du public car qu’on le veuille ou non nous les artistes, le vrai producteur d’un film c’est le public. Si j’ai pu faire 51 films, c’est aussi grâce au public. Il ne faut jamais rater une occasion de le rencontrer et de lui dire merci. Et puis un festival tel que celui-ci est une belle façon de de faire aimer le cinéma.»
«Le genre humain m’a toujours fasciné»
Où trouvez-vous votre source d’inspiration pour vos films ?
«Mes films sont des films d’observation. Tous sont le résultat de ces hommes et des ces femmes que j’ai observés. Le genre humain m’a toujours fasciné, c’est un spectacle extraordinaire. Il y a 8 milliards de gens sur cette terre qui s’agitent dans tous les sens, et certains d’entre eux vont un peu plus m’intéresser que les autres. Tous les personnages de mes films, je les ai plus ou moins rencontrés, et les dialogues de mes films, je les ai plus ou moins entendus. Depuis que j’ai commencé à tourner en 1957, j’ai essayé d’être un témoin de mon temps, avec des hommes et des femmes qui, à chaque époque, avaient le goût de l’aventure. Dans la vie on a tous les qualités de nos défauts, les héros de mes films ont les qualités de leurs défauts et je dirais que leurs défauts sont plus photogéniques que leurs qualités. J’aime la vie et j’ai essayé à travers mes films de la faire aimer à un maximum de gens. Je pense qu’on a tous des excuses à nos erreurs et aussi des excuses à nos succès. On vit dans un monde où la vie est plus forte que nous et si on ne s’adapte pas à cette vie, on risque d’être malheureux. C’est un peu de ça dont parlent tous mes films.»
Avez-vous été inspiré par des personnes rencontrées à Aix-les-Bains ?
«Je ne sais pas, j’étais tout petit. Tout ce que je sais, c’est que j’ai sauvé la vie d’une petite fille qui allait se noyer. On jouait au bord d’une fontaine, on avait 5 ans tous les deux, elle a failli se noyer et j’ai été un héros pendant 30 secondes car j’ai réussi à la sortir de la fontaine. Et cette petite fille, 30 ans plus tard, est devenue mon attachée de presse à Paris. On se croirait dans un film de Lelouch.»
«J’ai peut-être plus de tendresse pour les films qui n’ont pas marché»
Avez-vous un ou plusieurs films coups de coeur parmi vos propres oeuvres ?
«J’ai peut-être plus de tendresse pour les films qui n’ont pas marché, c’est comme pour les enfants, ceux qui ont le plus de difficultés. Et puis les films qui n’ont pas marché m’ont appris beaucoup de choses, plus que les films à succès. On sait pourquoi un film ne marche pas mais on ne sait pas pourquoi il marche. Je suis un autodidacte, un cinéaste amateur et donc chacun de mes films a inventé celui d’après. Et les films qui n’ont pas rencontré le public m’ont appris beaucoup de choses, cela m’a permis de grandir. On ne peut pas demander à un père lequel de ses enfants il préfère. Mais si je dois choisir un film, je dirais « D’un film à l’autre», où je raconte tous mes films et ma vie de cinéaste.»
«Un héros, il faut aussi qu’il soit un héros dans la vie»
Vos meilleurs souvenirs ou anecdotes de cinéma ?
«J’ai la chance d’avoir rencontré des acteurs extraordinaires et la liste est impressionnante. Les acteurs, ce sont eux qui nous font rêver, qui sont sur l’écran. Sans eux, je ne suis rien. J’ai toujours essayé de travailler avec des acteurs que j’aimais et que j’admirais, des êtres qui étaient aussi bons devant la caméra que derrière. Un héros, il faut aussi qu’il soit un héros dans la vie, pas simplement à l’écran. 51 films, ce ne sont que des souvenirs. Il y en a quand même un qui m’a marqué. Les acteurs arrivent sur un plateau avec leur valise, leurs soucis, leur humeur, comme tout le monde. Et je me sers énormément de cette bonne ou mauvaise humeur. Annie Girardot, quand elle a fait cette fameuse scène culte des Misérables qui lui a valu un César, n’avait pas la tête à tourner et était pressée de quitter le plateau car elle avait plusieurs soucis personnels à régler. Eh bien ce jour-là, elle a fait la plus belle prise de sa vie.»
Vous n’avez jamais eu envie de passer devant la caméra ?
«J’ai fait de la figuration dans certains de mes films, un peu comme Hitchcock. J’ai joué dans mon tout premier qui n’est d’ailleurs jamais sorti, mais pour des raisons techniques. Acteur, c’est un vrai métier que je respecte et j’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui le font. On ne dirige pas les grands comédiens, on dirige les mauvais. Les grands comédiens, on les dose pour ne pas qu’ils en fassent trop ou pas assez. C’est un métier merveilleux où l’on reconstitue la vie.»
Quels cinéastes d’hier et d’aujourd’hui vous inspirent ou vous touchent particulièrement ?
«Le film qui m’a donné envie de faire ce métier est le film russe «Quand passent les cigognes», un des plus beaux du monde. J’ai eu la chance en 1957, quand je tournais un de mes premiers documentaires en Russie de pouvoir entrer sur le plateau de Mikhaïl Kalatozov. Et c’est en assistant pendant une journée à ce tournage que j’ai dit «voilà le métier que je veux faire». A l’époque j’avais 20 ans, je pensais simplement être reporter d’images, je ne pensais pas que je pouvais écrire et tourner des films.»
Si vous deviez définir votre carrière en une phrase ?
«C’est la carrière d’une concierge. Je suis très curieux, tout m’intéresse, me passionne, je ne m’interdis rien du tout. Avec cette curiosité, j’ai la chance de pouvoir goûter à tous les parfums, même à ceux qui ne sentent pas très bons, et c’est cette curiosité qui fait qu’encore aujourd’hui je m’amuse comme un fou.»
«C’est sûrement l’un de mes derniers films»
Avez-vous d’autres projets cinématographiques ?
«Je viens de terminer mon 51e film intitulé «Finalement» qui sortira le 13 novembre, avec un casting formidable. La musique est signée Ibrahim Maalouf et les paroles des chansons ont été écrites par Didier Barbelivien. A l’âge que j’ai, c’est sûrement l’un de mes derniers films, mais je continue ce voyage tant que j’ai la force physique nécessaire pour le faire. J’en ai encore un dernier à faire qui s’appellera «Finalement ça ne finira jamais» et qui sera très long car cela demandera trois ans de tournage. Si j’ai la chance, si j’ai la force, je voudrais accompagner toutes ces années qui vont m’amener jusqu’à mes 90 ans. Mon métier, c’est de faire rêver les gens, et comme on ne meurt jamais d’une overdose de rêve alors tant que je suis là j’en profite.»
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Claude Lelouch s'est livré sur sa vie et sa carrière.