«Conditions insoutenables, salaires dérisoires» : les postiers lancent une grève illimitée

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Face à des conditions de travail jugées insupportables et une charge croissante de missions pour des salaires à peine au-dessus du SMIC, les facteurs de Rumilly disent stop. Dès le 12 décembre, un mouvement de grève illimitée sera lancé pour dénoncer la dégradation continue de leurs conditions de travail et l’absence de reconnaissance de leur métier. Christian Garrette, délégué syndical CGT, revient sur les raisons de cette mobilisation et alerte sur une situation devenue intenable. Dans cet entretien, il détaille les impacts sur le quotidien des agents, des usagers, et le rôle social en déclin du facteur. Témoignage d’un métier au bord de la rupture.

 

Est-ce que vous pouvez vous présenter, s’il vous plaît ?

Oui, bien sûr. Je suis Christian Garrette, facteur depuis janvier 2001, soit bientôt 24 ans. Je travaille à la PPDC (Plateforme de Préparation et de Distribution du Courrier) de Rumilly. En résumé, je suis chargé de la distribution du courrier sur cette zone. Je suis délégué syndical pour la CGT. Cela fait suite aux élections professionnelles qui ont eu lieu récemment, avec la mise en place du Comité Social et Économique (CSE) fin octobre 2023. J’ai été nommé dans ce cadre par mon syndicat.

 

Vous avez annoncé un mouvement de grève. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons déposé un préavis de grève illimitée qui prendra effet à partir du jeudi 12 décembre, dès la prise de service. Nous avons donné rendez-vous à 7 heures devant le centre de distribution de Rumilly pour marquer le début de cette mobilisation.

 

Pourquoi avoir décidé d’un mouvement illimité ?

Parce que les agents sont à bout. Nous subissons depuis des années des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Cela fait plus d’un an que la CGT alerte sur les conséquences de la réorganisation liée à la Nouvelle Méthode de Fonctionnement Opérationnel (NMFO). Depuis que cette réforme est en place, les tournées ont été allongées, les effectifs réduits, et la charge de travail est devenue insupportable.

Historiquement, La Poste a été réorganisée tous les deux ans depuis 2003. Cela se traduit systématiquement par des suppressions de postes et des réductions de tournées. Pour vous donner une idée, il y a 15 ans, La Poste comptait environ 120 000 facteurs au niveau national. Aujourd’hui, nous sommes moins de 70 000, et encore, ce chiffre est probablement surestimé.

En tant qu’usager, on perçoit les dysfonctionnements dans la distribution.

 

Ces problèmes viennent-ils directement des agents sur le terrain ?

Non, et c’est précisément ce que nous voulons expliquer. Les dysfonctionnements viennent de cette gestion par le haut, qui impose des objectifs intenables avec des moyens insuffisants. Par exemple, nous sommes de plus en plus dépendants d’intérimaires ou de CDD pour combler les trous dans les effectifs. Sur notre bureau de Rumilly, nous avons une dizaine d’intérimaires pour moins de 40 agents.

Cela pose de gros problèmes d’efficacité. Les intérimaires, même s’ils sont de bonne volonté, ne connaissent pas les tournées aussi bien que nous. Et dans notre métier, cette connaissance fine est essentielle. Cela crée des retards dans les tâches collectives et dans la préparation des tournées, ce qui a un effet boule de neige sur le reste de la journée.

 

Vous pouvez nous expliquer ce que sont ces tâches collectives ?

Bien sûr. Nous commençons la journée à 7h15. Le camion arrive avec les courriers et colis du jour. Il faut réceptionner tout ce qui est livré et procéder à un premier tri. Les colis arrivent souvent en vrac dans de grands conteneurs qu’il faut trier par tournée. Idem pour les petits paquets internationaux ou encore les lettres et journaux.

Autrefois, ces différents produits étaient déjà partiellement triés, ce qui nous faisait gagner du temps. Aujourd’hui, tout est mélangé, et il faut une bonne connaissance des tournées pour attribuer les produits correctement. Malheureusement, comme les équipes changent souvent à cause de la rotation des intérimaires, ce travail prend deux fois plus de temps qu’avant.

Une fois ce tri terminé, chaque facteur prépare sa tournée, en triant et organisant le courrier dans l’ordre où il devra être distribué. Si les tâches collectives prennent du retard, cela reporte l’ensemble des activités et nous pousse à partir en tournée beaucoup plus tard que prévu.

 

Cela explique-t-il pourquoi certains agents dépassent régulièrement leurs horaires ?

Exactement. Sur ma propre tournée, je devrais terminer ma journée à 14h15. Mais en réalité, je termine souvent entre 15h30 et 16h30. Ce dépassement est devenu systématique, surtout depuis la dernière réorganisation en septembre 2023.

À cela s’ajoute la période des fêtes, où le volume des colis explose. Samedi dernier, par exemple, ma voiture était tellement chargée que je n’ai pas pu prendre tous les colis. J’en ai laissé une trentaine au bureau. Sur ceux que j’avais avec moi, j’en ai ramené une vingtaine non distribués faute de temps.

Et cela, pour quel salaire ?

C’est bien là le problème. Après 24 ans à La Poste, je gagne 76 euros de plus que le SMIC en salaire de base net. C’est décourageant. Pour les nouvelles recrues, c’est encore pire. Beaucoup découvrent la réalité du métier – la charge de travail, les horaires, le manque de reconnaissance – et ne reviennent pas après leur premier jour.

 

Vous parlez de reconnaissance. Pensez-vous que le rôle social du facteur a été dévalorisé ?

Absolument. Historiquement, le facteur avait un rôle important, notamment dans les zones rurales : apporter du lien social, veiller sur les personnes isolées, etc. Aujourd’hui, on nous réduit à un simple rôle de distributeur. D’ailleurs, dans certains documents internes, nous ne sommes même plus appelés "facteurs", mais "distributeurs".

Cette évolution reflète la transformation de La Poste en entreprise privée. En 2010, elle est devenue une société anonyme à capitaux publics, avec des objectifs de rentabilité qui priment sur tout le reste.

 

Ce mouvement de grève est-il local ou national ?

Notre grève concerne spécifiquement le centre de distribution de Rumilly. Cependant, il se trouve que le 12 décembre est aussi une journée nationale de mobilisation interprofessionnelle pour défendre les services publics. Cela peut donner une résonance supplémentaire à notre action, même si notre démarche est avant tout locale.

 

Vos revendications sont-elles uniquement centrées sur les conditions de travail ?

Pas seulement. Nous demandons aussi une revalorisation des salaires, une meilleure reconnaissance de nos métiers et des moyens supplémentaires pour garantir un service de qualité. Parmi nos revendications figure également le paiement des jours de grève. Bien que ce ne soit pas prévu par la loi, nous estimons que si nous faisons grève, c’est parce que nous n’avons plus le choix. La Poste doit en prendre acte.

 

Un dernier mot pour conclure ?

Nous sommes déterminés. Nous préférerions éviter ce conflit, mais après des années à subir ces politiques, nous n’avons plus d’autre solution. Si La Poste accepte de négocier et répond favorablement à nos revendications avant le 12, ce serait l’idéal. Mais si rien ne bouge, nous irons jusqu’au bout, car nous ne pouvons plus continuer ainsi.

 

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«Samedi dernier, par exemple, ma voiture était tellement chargée que je n’ai pas pu prendre tous les colis.»

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