Elle remet sur le devant de la scène l’incroyable héritage britannique aixois
L'âge d'or de la cité thermale a été marqué par la présence d'illustres Britanniques, dont la plus célèbre d'entre eux, la reine Victoria. Un passé ignoré pendant des décennies... jusqu'à ce qu'une anglophile s'en mêle. La ville renoue peu à peu avec son histoire et c'est sans conteste grâce aux efforts déployés par Claire Delorme-Pégaz, dont le dernier ouvrage sort ces jours-ci.
Si encore trop peu d'Aixois connaissent ce que leur ville doit aux Britanniques, il en est une qui s'emploie à le faire savoir avec panache. Alors qu'elle est encore une jeune étudiante en anglais, Claire Delorme-Pégaz, native de Brison-Saint-Innocent, découvre l'Angleterre du XIXe siècle à son apogée et sa reine de l'époque, Victoria, à la tête de la plus grande puissance de la planète. «Je me suis demandée si c'était bien la même que celle représentée par le buste, trônant à Aix-les-Bains. Personne n'en avait parlé.»
Et pourtant, la fameuse monarque sera restée 73 jours dans la cité thermale, entre ses trois séjours de 1885, 1887 et 1890, ce qui en fait sa seconde destination de prédilection française après Nice. Elle est à ce point séduite par la région et ses paysages qu'à l'issue de son premier séjour, elle acquiert une dizaine de parcelles à Tresserve en vue d'y construire une propriété. Mais le projet avorte, vraisemblablement pour des raisons foncières, et les terres sont toutes revendues neuf ans plus tard.
A son âge d'or, Aix-les-Bains accueille têtes couronnées, aristocratie, peintres et écrivains, venus d'Europe et du monde entier. La reine Victoria, en tant que lanceuse de mode, n'y est pas étrangère. Elle entraîne dans son sillon tout une clientèle britannique fortunée. «C'est grâce à leur présence que sont installés des équipements sportifs haut de gamme dès la fin du XIXe siècle : rugby, aviron, golf, tennis, hippodrome...», énumère Claire Delorme-Pégaz. Sans compter «les dons de cette clientèle qui amélioraient l'ordinaire». L'autrice évoque ainsi plusieurs bienfaiteurs : lord Revelstoke, à l'origine du laboratoire d'analyses médicales avenue de Verdun ; Elizabeth Boyd, qui, à son décès, léguera une somme conséquente à l'hospice ; et William Haldimand, fondateur de l'hospice devenu la Reine Hortense, alors destiné aux indigents.
Il reste des traces tangibles de la présence britannique à Aix : l'église anglicane Saint-Swithun, les noms de rues (Victoria, Alfred-Garrod, boulevard des Anglais, Haldimand, Lord-Revelstoke, Elizabeth-Boyd, Rudyard Kipling...) et d'hôtels (le Royal, le Savoy, le Windsor, le Touring, les Iles britanniques...).
Peu à peu, Aix-les-Bains
se réapproprie son histoire
Pendant des décennies, cette tranche de l'histoire paraît comme occultée. La pugnace professeure d'anglais qu'est Claire Delorme-Pégaz luttera avec ses moyens à elle pour la faire reconnaître. Il lui paraît inconcevable de taire cet héritage. Dès son intégration au sein de la Société d'art et d'histoire d'Aix-les-Bains (Saha), les articles sur ce thème se multiplient dans la revue Arts & mémoire. Jusqu'à consacrer un numéro spécial en septembre 2020 dans le cadre des festivités liées à l'année anglaise à Aix-les-Bains, célébrant les 150 ans de l'église Saint-Swithun. Des événements dont le retentissement se sont trouvés amoindris par l'arrivée du Covid... Mais dont il est toujours possible de retrouver trace grâce au film commandité par la Saha baptisé «Anglomania». En 2018, Arte s'intéressera au sujet dans un volet de son «Invitation au voyage».
Dès 2011, les plaques de rues aux noms britanniques sont progressivement changées pour arborer le même design distinctif. A commencer par celle de William Haldimand dont le nom est jusqu'alors mal orthographié. C'est le premier adjoint de l'époque, Renaud Beretti, qui prendra en charge le dossier, après un appel du pied poussé de la part de Claire Delorme-Pégaz.
Des conférences, visites en costume à l'occasion des Journées du patrimoine, lectures à la bibliothèque sont organisées. Et, autour du buste de la reine Victoria, place du Revard, volettent désormais l'Union Jack, et une ancienne cabine téléphonique écossaise de 1920 est venue se greffer, constituant «une belle trinité».
Un jeu et des livres
De son côté, l'anglophile, qui a enseigné dans 14 établissements du primaire et du secondaire en Savoie et alentours, tient à rectifier le tir chez les jeunes générations. Elle sort un jeu de l'oie bilingue, The Swan game, pour amener les petits vers la grande Histoire. Puis deux livres bilingues sur Jacquot, l'âne aixois de la reine Victoria. Le tout constitue une mallette pédagogique mis à la disposition des enseignants aixois.
Le travail le plus titanesque aura été entrepris avec la guide-conférencière écossaise Joséphine Fletcher, installée à Tresserve, donnant lieu à un ouvrage léché en 2013 «Victoria en Savoie, trois séjours d'une reine à Aix-les-Bains», sous la bannière de l'association aixoise Grapevine. «En 2010, nous nous sommes rendues aux archives de Windsor, consignant les journaux intimes de la reine, réécrits par sa fille Béatrice. Deux jours durant, nous avons recopié les passages qui nous intéressaient. Nous nous sommes aussi retrouvées dans le manoir écossais du petit-fils du, Dr Reid, qui accompagnait la reine à chacun de ses séjours. La famille nous a confié des coupures de journaux, des lettres, un semainier concernant Aix-les-Bains.»
A partir de ces sources fiables, elles mettent deux ans à «écrire le livre de nos rêves», richement illustré, et préfacé par l'ambassadeur du Royaume-Uni en France, Sir Peter Ricketts. Les retours sont à ce points excellents que les 700 exemplaires tirés sont écoulés en 10 mois à peine. Pour le trouver aujourd'hui, reste à écumer les brocantes...
Claire Delorme-Pégaz entend désormais s'attarder sur d'autres illustres britanniques venus dans la cité thermale. L'influence de la reine Victoria s'est étendue outre-Atlantique et nombreux sont les Américains à s'être aventurés sur les terres aixoises : l'entrepreneur Cornelius Vanderbilt, le financier John Pierpont-Morgan, l'industriel Andrew Carnegie, l'écrivain Mark Twain... De quoi noircir encore des centaines de pages. Mais Claire Delorme-Pégaz s'y refuse. «Je n'ai qu'une vie !»