Crise sanitaire :  » En une journée, on peut perdre des générations de travail « 

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Jean-Marc.

Jean-Marc.

À l'heure de transmettre sa ferme familiale, Jean-Marc fait face à une crise sanitaire inédite. Témoignage d'un éleveur lucide, inquiet, mais toujours debout.

Vous aviez prévu de prendre votre retraite bientôt ?

Oui, je comptais m'arrêter vers 64 ans, avec la nouvelle réforme. J'y suis un peu contraint. Les premières années d'installation en tant qu'exploitation familiale ne comptent pas pareil, donc il faut aller jusqu'au bout. Mon neveu Benjamin va s'installer, peut-être qu'on fera une période à deux. Je resterai un peu, en soutien.

Vous n'envisagez pas de tout arrêter brutalement ?

Ah non, pas encore les mots croisés sur le canapé ! J'aimerais continuer à filer un coup de main, tout en passant la main progressivement. C'est une ferme qu'on tient depuis plusieurs générations.

Comment avez-vous appris l'existence de cette nouvelle maladie ?

C'est Benjamin qui l'a vu sur les réseaux sociaux, sur son téléphone. Moi, je ne connaissais pas du tout. Après, ça a explosé à la radio, tout le monde en parlait. Apparemment, la dermatose nodulaire vient d'Afrique, et le réchauffement climatique aurait aidé à sa remontée vers l'Europe, en passant par l'Italie.

C'était une première pour vous ?

Oui, on n'avait jamais entendu parler de ça ici. Pourtant, il existe déjà un vaccin, donc les autorités savaient que ça pouvait arriver. C'est bien ça le pire.

Quelle a été votre première réaction en tant qu'éleveur ?

Le coup de massue. On s'est dit : " Si on doit tout abattre... c'est fini. " On a 40 vaches laitières et une quinzaine de génisses. On vit avec l'angoisse de voir tout ça partir en fumée.

Vous avez connu d'autres crises avant ?

Oui, la fièvre catarrhale ovine, la brucellose, un peu la vache folle. Mais là, c'est autre chose : c'est rapide, mal connu, et les autorités ne sont pas prêtes. On parle d'incubation de 14 jours. Si ça passe d'une commune à l'autre, on est foutus.

Quel est l'impact moral pour vous ?

C'est terrible. On pense au premier éleveur touché, à qui on a dû annoncer l'abattage complet. J'aurais pas voulu être à sa place. Moi, si ça m'arrive, je ne sais pas comment je réagirais. On se lève le matin, on regarde ses bêtes, et on se dit : " Demain, il n'en restera peut-être plus une seule. "

Et financièrement, êtes-vous couverts ?

Rien pour l'instant. Les assurances ne se bousculent pas, les indemnisations sont floues. C'est comme pour toutes les maladies émergentes : on est seuls au monde.

Les conséquences dépassent votre seule ferme, non ?

Bien sûr. Si les coopératives n'ont plus de lait, elles ferment. Les banques suivent, les fournisseurs d'aliments, les concessions agricoles aussi. C'est tout un tissu économique qui s'écroule. Et ici, dans notre coin, il reste très peu de producteurs.

Quel message avez-vous pour les jeunes qui s'installent ?

Je leur souhaite bon courage. Avec le réchauffement climatique, d'autres maladies vont venir. Il faut croire en ce métier, mais aussi être lucide. Aujourd'hui, un jeune peut s'installer et se retrouver obligé d'arrêter dix ans plus tard. Il faut s'adapter vite, très vite.

L'agriculture est-elle en péril ?

Je ne l'espère pas, mais si cette maladie s'installe et que les troupeaux tombent, ce sera un carnage. On n'est plus des cultivateurs comme autrefois, on est des chefs d'entreprise. Chaque ferme est une PME, avec des charges, des prêts, des salariés parfois. C'est devenu très lourd.

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