Entre incertitudes et inquiétudes, l’activité résiste

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Lors d’une conférence de presse organisée dans les locaux de la Banque de France à Annecy, le 25 novembre, Lionel Brunet, directeur départemental de la Haute-Savoie a fait le point, aux côtés de son adjoint Patrice Cartelier, sur la situation économique du pays d’après les prévisions macroéconomiques que l’institution bicentenaire effectue chaque trimestre. Au vu des derniers éléments d’information, l’économie française traverserait trois phases à la fois liées et bien distinctes, qualifiées de «3R» : une résilience  en 2022, un ralentissement  en 2023 et  une reprise  en 2024. Comme se porte la croissance économique en France ? Un retour à une inflation plus modérée est-il  prochainement prévu?  Quelles sont les perspectives pour les deux années à venir? Telles sont les questions auxquelles la Banque de France (membre de l’Eurosystème qui regroupe la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales de la zone euro) a souhaité répondre.

«Nous sommes dans une période charnière sur le plan économique, entre incertitudes et inquiétudes» a précisé Lionel Brunet avant de faire un point détaillé sur la situation au niveau national et régional.

Evolution économique au niveau régional

La Banque de France effectue des enquêtes mensuelles sur l’évolution  de la conjoncture économique auprès d’un panel d’informateurs dans tous les départements. Environ 8000 chefs d’entreprise des secteurs de l’industrie, des services marchands, du bâtiment et des travaux publics y répondent régulièrement au niveau national, environ 1150 en Auvergne-Rhône-Alpes et environ 150 en Haute-Savoie.

«La particularité de ces enquêtes, c’est qu’elles analysent la tendance, d’un mois à l’autre. Elles permettent d’appréhender les variations, de bien ressentir les inflexions de tendances dans un sens comme dans l’autre, et de connaître les préoccupations des chefs d’entreprise selon les périodes: nous avons eu la problématique des matières premières, du recrutement, problématique de moyen terme qui ne s’arrêtera pas prochainement mais qui varie entre premier et second plan et depuis la rentrée, la préoccupation principale, c’est l’énergie».

D’un point de vue national, malgré l’environnement économique difficile marqué par une succession de chocs, l’activité continue globalement de résister. Selon les chefs d’entreprises interrogés, entre le 27 octobre et le 4 novembre, l’activité au mois d’octobre a légèrement progressé dans l’industrie et les services, et a été à peu près stable dans le bâtiment. Les entreprises prévoyaient une poursuite de cette tendance pour le mois de novembre.

En région Auvergne-Rhône-Alpes, la production industrielle enregistre une légère progression en octobre. La crise énergétique ne semble pas avoir affecté le niveau d’activité des entreprises industrielles, à l’exception du secteur de la métallurgie, mais elle suscite toutefois des inquiétudes généralisées sur l’évolution de marges dans les prochains mois. Les effectifs se sont renforcés pour répondre à une demande toujours présente, même si les carnets de commandes ont diminué progressivement ces derniers mois.

Concernant l’activité des services marchands, une amélioration a été constatée, tant sur le plan régional que national. Ce dynamisme s’accompagne d’un renforcement des effectifs et de nouvelles hausses de prix, en réponse à l’augmentation des prix des matières premières et de l’énergie.

Enfin, dans le bâtiment, l’activité reste dynamique dans la région alors qu’un ralentissement est observé au niveau national. Les carnets de commande sont toujours conséquents, néanmoins, les incertitudes liées à l’évolution du coût des matières premières et de l’énergie pèsent sur les prévisions d’activité des professionnels.

«Globalement, ce n’est pas si mal. On observe une montée des inquiétudes chez les chefs d’entreprise mais qui sont exprimées au futur proche, pas au présent».

Croissance économique 2022 : +2,6%

En septembre, la Banque de France a révisé ses prévisions macroéconomiques (la prochaine aura lieu fin décembre. Sur les périodes 2022, 2023 et 2024, le scénario économique envisagé est le suivant : une résilience meilleure que prévu au cours de la majeure partie de 2022, un net ralentissement dès le début de 2023 entouré d’incertitudes liées à l’évolution de la Guerre russo-ukrainien puis une reprise de l’expansion économique en 2024.

Après un taux de 6,8% en 2021, la croissance économique française devrait avoir atteint une moyenne annuelle de 2,6% en 2022 (elle était à 2,3% en juin dernier). La bonne résistance de l’activité, dans un contexte international pourtant porteur d’inquiétudes, s’explique par une demande finale bien orientée et le rebond du secteur des services dont certaines branches étaient encore très touchées en 2021 par les restrictions liées à la crise sanitaire.

Les prévisions pour 2023 s’établissent dans une fourchette entre -0,5% et +0,8%, soit un ralentissement proche de la stabilité, mais ces prévisions pourraient varier à court terme en fonction de la problématique énergétique de l’hiver dont les préoccupations portent à la fois sur les disponibilités et sur le prix de l’énergie. Les coûts de certaines matières premières qui avaient explosé, comme les métaux, sont revenus à leur niveau d’avant Covid même si, comme l’a souligné le directeur adjoint : «Plusieurs composants n’arrêtent pas de fluctuer, à la hausse à la baisse : il y a une baisse qui compense une hausse, ce qui est assez invisible».

Bien qu’elle ne fasse pas partie du scénario des «3R», une récession pourrait se produire, à savoir deux trimestres consécutifs de croissance négative (décroissance du Produit Intérieur Brut) : «Le ralentissement est très probable, la récession, cela dépendra beaucoup de ce qu’il se passera en début d’année : elle n’est pas exclue mais elle n’est pas non plus probable». Lionel Brunet a évoqué le côté psychologique des taux (en citant l’exemple de -0,2 et +0,2) qui peuvent être très proches mais qui, selon s’ils sont positifs ou négatifs, ne procurent pas le même effet dans l’esprit des acteurs économiques.

Une reprise de cycle de croissance traditionnel semble attendue en 2024. Dans un contexte de détente graduelle des tensions sur le marché de l’énergie, la croissance du pays renouerait avec un taux de croissance plus soutenu.

Inflation 2022 : +5,8%

L’inflation en France devrait atteindre 5,8% en moyenne annuelle 2022 (elle était autour de 6,4 en octobre). Ce niveau élevé est nettement supérieur à l’objectif alloué à la Banque Centrale Européenne situé autour de 2%, taux considéré comme «normal» car pas très éloigné de zéro et qui permet une croissance des prix contenue, «car les vrais perdants dans l’inflation, ce sont tous ceux qui ont des revenus fixes : les retraités et les salariés qui sont forcément impactés dans leur vie quotidienne en cas de forte inflation». La France est cependant loin d’être le pays européen le plus mal loti : la moyenne de la zone euro est actuellement de 10,2% et devrait atteindre 8,1% de moyenne annuelle en fin d’année. Les pays voisins sont largement au-dessus avec 7,8% en Italie, 8,5 en Allemagne, près de 20% en Pologne et en Estonie. Malgré la politique monétaire commune, les taux d’inflation sont très diversifiés, pour différentes raisons, notamment à cause de la proximité de certains pays avec les zones de combat. Concernant la France, l’écart s’explique par le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité, par le mix énergétique «qui reste en faveur des pays sur lesquels le nucléaire, énergie qui coûte le moins cher, a été à défaut d’être développé, entretenu» et par une moindre hausse des prix alimentaires par rapport au niveau européen.

Le pic de l’inflation est pressenti pour début 2023, avec une normalisation graduelle et positive en cours d’année, ce qui permettrait d’atteindre un taux de 4,3% en moyenne annuelle. En 2024, dans un contexte d’accalmie sur les prix des matières premières et alimentaires, l’inflation se replierait à 2,7%, soit un taux plus proche de l’objectif de 2% correspondant depuis le 27 octobre au taux principal de refinancement de la Banque Centrale Européenne qui depuis l’été a rehaussé à trois reprises les taux directeurs.

«Après 11 ans de taux négatifs, nous sommes passés sur des taux positifs en juillet, septembre et octobre et aujourd’hui  nous sommes sur un taux de refinancement sur le taux principal de refinancement de la Banque Centrale qui est à 2%, que l’on estime être le taux neutre» a conclu le directeur départemental de la Banque de France.

A travers ces trois années, l’économie française montrerait une résilience de l’emploi, du pouvoir d’achat des ménages et du taux de marge des entreprises : au-delà des variations de court terme, chacune de ces trois variables serait meilleure en 2024 que dans la situation pré-Covid. Le ratio d’endettement public quant à lui, déjà fortement dégradé à la suite du choc Covid, serait au mieux stabilisé à l’horizon 2024, du fait notamment du coût des mesures de soutien tel que le bouclier tarifaire.

 

C. C.

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