Entretien avec un virologue
En pleine crise sanitaire du Covid-19, le Docteur Bruno Chanzy, virologue et chef de service au laboratoire du CHANGE (Centre Hospitalier Annecy Genevois) à Annecy a accepté de répondre à nos questions afin de nous renseigner sur la situation. Au cours de cet entretien, nous avons abordé le sujet du dépistage mais aussi les pénuries et l’entraide entre hôpitaux de la région.
Le déroulement d’un test
Le test de dépistage du Covid-19 s’effectue en trois étapes distinctes. Le prélèvement, l’extraction et l’amplification.
En ce qui concerne le prélèvement, il en existe différents types. Le premier choix est le prélèvement rhino-pharyngé, qui s’effectue au niveau de la muqueuse nasale, c’est-à-dire assez profondément dans le nez, avec un écouvillon (sorte de coton-tige plus fin utilisé à des fins de prélèvement). Comme le virus se déplace dans l’arbre respiratoire au fur et à mesure que la maladie avance, on peut rechercher le virus au niveau des tissus plus profonds, par exemple au niveau des poumons.
L’extraction consiste à préparer l’échantillon. À partir de ce qu’on peut appeler un «magmas cellulaire», le matériel génétique du virus va être récupéré. C’est en quelque sorte une «purification» de l’échantillon afin d’isoler le matériel génétique. Le virus en entier ne peut être observé qu’avec un microscope électronique, ce qui n’est pas compatible avec un diagnostic de masse.
Enfin, l’amplification se fait avec la méthode PCR (Polymerase Chain Reaction - Réaction de polymérisation en chaîne). Celle-ci consiste à synthétiser artificiellement le génome du virus en incorporant un traceur coloré à chaque cycle de multiplication afin d’en mesurer l’accumulation. Selon le Docteur Chanzy, cette méthode est très intéressante parce qu’elle permet de n’amplifier que «ce qui correspond au Covid-19 de manière très spécifique et sensible.»
Le prix coûtant d’un test est actuellement entre 30 et 35€ hors-taxes pour les réactifs, ce qui correspond plus ou moins au coût d’un test pour la grippe saisonnière.
La durée d’un test
Le test a une durée incompressible de trois heures à l’heure actuelle. En effet, l’extraction dure au minimum une heure et l’amplification entre une heure quarante et deux heures à cause des contraintes imposées par les machines. La seule méthode pour accélérer le processus serait d’automatiser certaines parties où l’humain intervient. À Annecy, ils arrivent tout de même à faire plusieurs séries de 24 tests toutes les deux heures.
Le Docteur Chanzy appelle toutefois à faire attention aux temps rapides annoncés par certains tests arrivés récemment sur le marché. Il indique qu’il s’agit souvent de machines capables de ne traiter qu’un seul échantillon à la fois..
Le centre hospitalier va toutefois s’équiper dans les semaines à venir d’un nouveau test durant seulement quarante minutes et capable de traiter 48 échantillons à la fois.
L’équipe en charge
Constituée de cinq techniciennes, l’équipe dédiée au Covid-19 a réalisé 1600 tests en le 27 février et le 28 mars. En comparaison, la grippe est l’objet de 2000 tests sur une période de douze à seize semaines.
Effectuant une centaine de prélèvements par jour, les horaires ont été changés afin que tous les patients entrant à l’hôpital puissent avoir leur résultats le jour même de leur arrivée. La plage se déroule donc de 7h à au moins 21h afin que les derniers patients aient leurs résultats autour de 23h quand les équipes entrent dans la «nuit profonde».
Cette nouvelle organisation a d’ailleurs été proposée par l’équipe elle-même. Elle est maintenant soustraite de toute activité de garde et les périodes de repos sont organisées afin qu’elles puissent travailler dans les meilleures conditions.
Le dépistage en masse
Si le Docteur se dit «un peu partagé» sur l’idée, il souligne toutefois qu’un dépistage de masse ciblé a été organisé avec succès sur le cluster de La Balme de Sillingy où tous les cas contacts ont été identifiés puis convoqués à l’hôpital afin de prélever les personnes symptomatiques.
Il indique aussi qu’un dépistage chez les personnes asymptomatiques n’est pas forcément utile vu que certaines personnes en incubation peuvent être négatives. Il ajoute que, n’étant pas épidémiologiste, il ne sait pas quelle est la meilleure solution à proposer.
De plus, l’industrie du réactif pouvant proposer du matériel de dépistage automatisé donc plus rapide n’ont pas pu répondre à la hausse très importante de la demande en seulement un mois.
Enfin, le pays le plus souvent pris en exemple pour le dépistage massif est la Corée du Sud. Or il faut se rendre compte que quand ça a été fait, il n’y avait pas encore de tensions sur l’approvisionnement de réactifs au niveau mondial, permettant au pays d’en consommer autant qu’il le voulait. C’est maintenant une autre histoire, le Docteur Chanzy indiquant que l’une de ses principales activités quotidiennes est d’organiser l’achat et le suivi de réactifs auprès de ses fournisseurs.
Pas de crainte de pénurie au CHANGE
Au niveau des tests biologiques, il n’y a pas d’inquiétude à avoir concernant une éventuelle pénurie de tests. En effet, le CHANGE a environ 3000 tests d’avance, ce qui permet de pouvoir tenir quatre à cinq semaines. De plus, n’attendant pas que les stocks diminuent, le chef de service prépare chaque jour des commandes afin que l’avance ne fonde pas.
L’approvisionnement en écouvillons pourrait toutefois poser problème, un des gros fournisseurs se situant à Milan et étant à l’arrêt depuis maintenant trois semaines. Il y a d’ailleurs une pénurie quasi mondiale sur ce dispositif : beaucoup de pays étant confinés, il y a des problèmes de production et de circulation.
L’entraide régionale
S’il y a un réseau national de laboratoires, un tropisme s’est développé dans l’arc alpin. Réunis par un réseau social, tous les virologues d’Annecy, Chambéry, Grenoble, Thonon et le CHAL de Contamine sur Arve peuvent communiquer facilement et rapidement. Ils s’entraident sur les différentes questions qui peuvent se poser ou la fourniture de réactifs si un laboratoire venait à en manquer avant une livraison.
Au début, il avait été imaginé de faire une garde commune le week-end mais ils se sont rendus compte très rapidement qu’un seul hôpital ne pourrait absorber tout le territoire, préférant créer des zones de couverture par hôpital.
Les leçons à tirer
Bruno Chanzy espère que des leçons seront tirées de cette crise. Il prend en exemple l’initiative de Roselyne Bachelot de faire des stocks de masques, décriée à l’époque mais applaudie maintenant.
Il espère que le territoire sera maillé par plus de laboratoires afin d’être au plus proche de la population et de pouvoir absorber les besoins. Il indique, par exemple, que si l’hôpital d’Annemasse avait pu faire des tests dès le début, le retard pris aurait été moindre.
Refusant de critiquer les hommes politiques, il reconnait qu’une crise telle que celle qu’on voit aujourd’hui est très compliquée à gérer, n’engendrant que des possibilités de réaction et très difficilement de prévision.
L’hydroxychloroquine
Malgré tout le respect qu’il a pour le Professeur Raoult, le virologue considère dangereux de tirer des conclusions planétaires avec des cohortes si réduites alors que la communauté médicale s’astreint à respecter des règles de bonnes pratiques dans la conduite d’essais cliniques.
Il espère bien sûr que la solution proposée puisse fonctionner mais ne comprend pas qu’un chercheur aussi renommé ait agi de cette manière sans le recul nécessaire pour.
Avec les tests effectués à plus grande échelle, le Docteur Chanzy espère qu’il sera possible d’avoir des réponses plus sérieuses d’ici un mois.