Faire face à la crise de l’arboriculture fruitière

Lecture 11 minute(s)

La SA Thomas Le Prince, spécialisée dans la production et le commerce de fruits, est une entreprise emblématique du territoire. Implantée à Vallières-sur-Fier, elle possède des exploitations agricoles dans les deux Savoie. Depuis plus de trente ans, cette entreprise familiale produit des fruits frais et fabrique des produits fruitiers de qualité, de ses vergers à son atelier de transformation, avec la volonté de valoriser son ancrage au terroir savoyard.

Vendredi 20 janvier, Marc Le Prince, PDG depuis 2019, a accueilli les représentants des pouvoirs publics et du monde économique, aux côtés de son père Thomas Le Prince, fondateur de l’entreprise, pour une matinée d’échanges sur les problématiques auxquelles ils doivent faire face et les challenges à relever, dans un contexte de crise de l’arboriculture fruitière. Hausse des coûts des énergies et des matériaux, raréfaction des ressources en eau, intempéries, difficultés de recrutement de main d’œuvre, pénurie de certains matériaux, évolution du marché… De nombreuses réflexions ont été menées autour des différents enjeux à court, moyen et long termes.

François Ravoire, maire de Vallières-sur-Fier, Christian Heison, président de la Communauté de Communes Rumilly Terre de Savoie, Sylvia Roupioz, conseillère régionale, Véronique Riotton, députée et Pierre Denier, directeur du Comité d’Action Economique Rumilly-Alby Développement, ont participé à cette table ronde afin de trouver des solutions pour la poursuite du déploiement de cette entreprise et de ses projets innovants.

[[{"fid":"36870","view_mode":"default","fields":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false},"link_text":null,"type":"media","field_deltas":{"1":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false}},"attributes":{"height":412,"width":554,"class":"media-element file-default","data-delta":"1"}}]]

Marc Le Prince a présenté les problématiques et évoqué les projets de l'entreprise.

«Poursuivre, réinventer et partager les traditions pour une agriculture durable et locale»

Avant d’évoquer l’actualité, notamment économique, Marc Le Prince a d’abord retracé l’historique de l’entreprise, présenté les activités principales que sont  la production, le calibrage, le tri, le stockage, le conditionnement, la transformation et le commerce, puis il a exposé le contexte du marché du fruit et fait part de ses inquiétudes face aux différentes crises. L’entreprise emploie 88 personnes dont une quarantaine sur le site de Vallières. «La clientèle est diversifiée. 60 à 70% du chiffre d’affaires provient de la grande distribution, dont 50% pour le fruit frais et 50% pour le fruit transformé. Nous travaillons aussi avec les grossistes, et les industriels à qui nous vendons de la purée de pommes pour les chaussons aux pommes ou encore de la confiture pour les yaourts» a indiqué Marc Le Prince, avant d’exposer la vision de l’entreprise qui souhaite «poursuivre, réinventer et partager les traditions pour une agriculture durable et locale», avec divers objectifs d’ici à 2025 : utiliser 50% d’énergie en autoconsommation à fin 2023 (l’entreprise a investi en panneaux solaires), produire 4000 tonnes de fruits en 2025 (production actuelle : 2300 tonnes), accroître la capacité de stockage de 25% en 2025 et atteindre un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en 2025.

«L’année 2022 a été secouée par divers chocs»

«L’année 2022 a été secouée par divers chocs» soutient le PDG. L’entreprise a été confrontée à de nombreuses perturbations, toujours d’actualité, dont la forte hausse de l’énergie (+ de 100%), la hausse du coût des fournitures (verre, carton, papier), la hausse des salaires (7%), le manque de main d’œuvre, la difficulté de répercussion sur les prix et la chute des ventes de produits «bio», la rupture du verre, «nous avons été à l’arrêt durant 3 semaines car nous n’avions pas de bouteilles» et la baisse de la consommation en eau avec notamment l’interdiction d’irriguer durant la crise sècheresse l’été dernier qui refera vraisemblablement surface. Ajouté à ces problématiques, la livraison des investissements productifs a pris 6 mois de retard (calibreuse / dépalettiseur prévus l’été dernier devraient être installés prochainement). L’entreprise, réactive et résiliente, enregistre un chiffre d’affaires 2022  de 17 millions d’euros.

Pénurie de verre

«Pour cette nouvelle année, nous n’avons aucune visibilité sur les prix et aucune lisibilité sur les disponibilités ou non de nos fournisseurs. Il y a deux ans, la bouteille était à 0,22 euros, aujourd’hui elle a pris 0,40 euros et cela va encore augmenter. En janvier, février, je n’aurai aucune bouteille et si cela continue, je serai à l’arrêt sur l’embouteillage» s’inquiète Marc Le Prince. Les divers intervenants ont évoqué plusieurs perspectives et exposé leurs questionnements autour notamment du retour de la consigne du verre voire du plastique pour réemploi, ce qui impliquerait une logistique avec la création de circuits de lavage, etc. : «Toute une filière avec un modèle économique à mettre en place», «construire des filières, c’est tout l’enjeu», «l’économie circulaire, c’est comment on mène l’intelligence territoriale». Selon le PDG, «la consigne du verre, il ne faut pas se dire que ce sera une économie, ce le sera peut-être pour l’environnement et encore je n’en suis pas certain entre les coûts de collecte, l’eau de lavage et l’énergie utilisées. C’est à étudier, mais pour l’instant cela me paraît être une fausse bonne idée. En revanche, si le prix de la bouteille double encore, peut-être qu’il faudra y penser».  La consigne induit un prix plus élevé de la bouteille, des circuits non existants, et de nouveaux investissements à prévoir. «Quoi qu’il en soit, cette pénurie du verre est très inquiétante pour l’année en cours».

Baisse de la consommation d’eau

La problématique de l’eau est au cœur de l’entreprise qui a besoin de cette ressource pour sa production. La consommation d’eau a été baissée pour la production des jus en atelier, avec l’utilisation de drapeaux dans la cuve de refroidissement : «En 2022, 15 000 m3 ont été économisés». Quant aux vergers, l’interdiction d’irrigation pendant un mois a provoqué le folletage des poires Conférence, et la production de pomme et poire étant gourmande en eau, sans irrigation, cette culture est vouée à disparaître. Des réflexions sont engagées sur des modes d’irrigation plus économes comme le micro-jet ou le goutte à goutte. «La gestion de l’eau est vraiment, on l’a vu cet été, une ressource vitale et globale dont les pouvoirs publics doivent s’emparer. Nous sommes une région où encore en hiver nous bénéficions d’une bonne pluviométrie et il faut absolument faire des retenues d’eau ou des systèmes pour anticiper une météo qui risque encore plus de se détraquer» assure le PDG qui souhaite pouvoir être partie prenante des réflexions techniques auprès des autorités afin de co-construire.

Augmenter la capacité de stockage

L’entreprise souhaite augmenter sa capacité de stockage sur son site de Vallières (zone d’activité Vers Uaz) afin de faciliter le travail sur un seul site et assurer la pérennité du développement de l’entreprise. Père et fils Le Prince attendent la vente du terrain annexe de 2 hectares qui devait être faite il y a plus de 7 ans mais qui est finalement restée à l’état de location. Christian Heison a rebondi en annonçant le vote, au prochain conseil communautaire, de la mise en place des baux à construction sur les fonciers publics à vocation économique de la Communauté de Communes Rumilly Terre de Savoie : «Depuis le début du mandat, nous sommes passés progressivement de la vente du foncier économique aux baux à construction. L’intérêt est que la collectivité garde une vision sur le sujet lorsqu’il y a vente, transformation, évolution, et qu’elle soit en capacité de refuser certaines activités considérées comme non appropriés. Nous voterons la validation des principes de la mise en place du coût du loyer. Ce sera la première bouture concernant ce terrain qu’il faudra ensuite maîtriser et pour lequel nous lançons une déclaration d’utilité publique».

[[{"fid":"36871","view_mode":"default","fields":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false},"link_text":null,"type":"media","field_deltas":{"2":{"format":"default","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false}},"attributes":{"height":412,"width":620,"class":"media-element file-default","data-delta":"2"}}]]

Atelier de stockage et de conditionnement des fruits à Vallières.

Une main d’œuvre locale difficile à trouver

Marc Le Prince a exposé la difficulté à recruter une main d’œuvre locale et affirme devoir avoir recours à une main d’œuvre étrangère, notamment les intérimaires espagnols, plus demandeuse et visiblement plus motivée. L’entreprise a donc décidé d’augmenter sa capacité d’accueil en installant 12 lits dans le bâtiment de Survent pour accueillir les travailleurs en 2023. Tous les participants à la réunion s’accordent à dire que «le rapport au travail en France a changé, notamment lorsqu’il s’agit d’un travail physique» et le chef d’entreprise espère que la réforme du chômage changera cette situation. Sept emplois sont actuellement non pourvus. Face à cette problématique de recrutement, les investissements en matériel performant (dépalettiseur, palettiseur, calibreuse) sont une solution à la hausse de la productivité (soutien de 1,5M€ du Feader - fonds européen agricole pour le développement rural).

Diverses améliorations en matière d’énergie

Pour optimiser la consommation de l’énergie, l’entreprise a amélioré sa gestion du froid lors des heures pleines, ce qui a permis une économie de 15 tonnes de gaz et de 160 000 kilowatts d’électricité en 2022. Les méthodes de travail ont été modifiées, les réfrigérateurs ont été coupés en heures pleines, sachant que  «le courant est quatre fois plus cher». La mis en route de la chaudière gaz le matin coûtant 350 euros, «nous avons arrêté les petites équipes le samedi, en se disant soit on travaille en équipe complète soit on arrête».

L’entreprise a fait le choix d’installer des panneaux photovoltaïques à Uaz, «nous avons investi 250 kw de panneaux solaires» et de renouveler ses groupes froids. Depuis fin 2022, l’utilisation de la chaleur des groupes froids de l’atelier permet de chauffer aussi les bureaux à la place des granulés bois, ce qui fera une économie de 30 tonnes de pellets par an pour un investissement de 9 000 euros. L’optimisation de certains lieux de stockage a également été décidée et sera effective dès l’été 2023 (période creuse des pommes) sur le site de Sainte-Hélène, en Isère, où les réfrigérateurs seront loués à Coop Noix via un partenariat. D’autres projets verront bientôt le jour, comme la mise en place de panneaux solaires sur le bâtiment de Survent (subvention de la Région) et peut-être d’autres installations ultérieures sur d’autres sites.

«Malgré tous ces efforts», la facture ne cesse d’augmenter

«Malgré tous ces efforts et les 265 000 euros d’économisés, la facture a quand même augmenté de 70 000 euros environ sur l’électricité et devrait encore augmenter de 80%  dès ce mois de janvier. Pour 2024, le pronostic est encore plus incertain» s’inquiète Marc Le Prince.

Baisser sa consommation d’énergie, produire sa propre énergie, augmenter la productivité, développer des formats plus économiques ou solidaires comme le lancement du plateau solidaire «qui rémunère au juste prix les producteurs», s’adapter au marché changeant, se lancer dans des projets innovants sur fond de transition écologique… Le PDG compte sur la souplesse et dynamisme de l’entreprise pour maintenir le cap sur l’horizon des années à venir.

Publicité

Lire aussi

Icone

Hebdo des Savoie

www.hebdo-des-savoie.fr

Ajouter à l'accueil