Hausse des prix de l’énergie : l’inquiétude d’un producteur maraîcher

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En cette période trouble d’un point de vue économique, depuis la crise sanitaire puis récemment la guerre en Ukraine, de nombreux Français s’inquiètent de la hausse des prix, particulièrement des matières premières et de l’énergie. Les coûts du gaz et de l’électricité ne cessent d’augmenter et devraient flamber dès 2023. Divers secteurs d’activité se retrouvent pris au piège de ce contexte tendu à bien des niveaux, notamment le monde agricole, très présent sur le territoire. Qu’en est-il de la situation des maraîchers et des horticulteurs qui chauffent certaines de leurs serres tunnels au gaz ?

2500 m2 chauffés au gaz de fin février à début mai

Adrien Goddet, producteur et maraîcher bio à Lornay, également copropriétaire du magasin Côté Champ à Rumilly, travaille depuis 17 ans dans l’exploitation familiale (GAEC Vers les Champs) auprès de 4 associés, Enerique, Raphaël, et ses parents qui devraient partir à la retraite d’ici un an ou deux.

Avec ses 11 hectares de culture de légumes de saison et de quelques vergers ainsi que son atelier de transformation d’environ 80 m2 avec 3 laboratoires, il s’agit de la plus grande exploitation bio des 2 Savoie. Un nouvel atelier de 100 m2 devrait prochainement voir le jour pour optimiser la production de conserves, soupes, plats cuisinés, confitures, sorbets, glaces, etc. Chaque année, Adrien Goddet et ses associés produisent en moyenne 15 000 litres de soupes et 15 000 pots de confitures et cultivent plusieurs centaines de tonnes de légumes dont une vingtaine de tonnes de tomates et une quarantaine de tonnes de courgettes chauffées au gaz, de fin février à début mai, sous des serres bi-tunnels représentant environ une surface de 2500 m2 sur 8000 m2 de tunnels au total.

«Planter fin février est extrêmement rentable, cela nous fait gagner un mois et demi sur les ventes de tomates et de courgettes bio».

En dépit de certains choix éthiques et économiques bénéfiques à la baisse de consommation énergétique, le producteur de 38 ans livre ses inquiétudes concernant le maraîchage et le monde agricole en général dans un contexte économiquement fragile qui laisse entrevoir un avenir peu réjouissant.

Des tomates cultivées à 12°C plutôt qu’à 18°C

Afin de réduire leur consommation d’énergie, Adrien et ses associés ont fait le choix d’installer des panneaux photovoltaïques qui produisent 30% de l’électricité utilisée notamment pour les réfrigérateurs, les chambres froides et la stérilisation. Les cuissons sont quant à elles chauffées au gaz. L’autre choix, qui ne les a pas empêchés d’être rentables dès la première année, c’est la réduction des températures : «Normalement, à partir du moment où une tomate est plantée, elle a besoin d’être chauffée à 18°C jour et nuit mais nous avons pris la décision de la chauffer à 12°C uniquement la nuit. Car même s’il fait 2°C dehors en journée, le moindre rayonnement lumineux fait monter la température dans les tunnels. Nous plantons les tomates fin février pendant que d’autres font le choix de les cultiver hors sol à 18°C jour et nuit dès le mois de décembre». En moyenne, Adrien Goddet dit utiliser 1 citerne de gaz par an, soit 3 tonnes, même s’il arrive que 2 citernes soient remplies certaines années : «Il faut savoir que 3 tonnes, c’est à peu près la consommation d’une maison de 4-5 personnes à l’année tout compris, donc ce n’est pas si fou que ça». Cependant, la hausse des prix lui a déjà fait dépenser 500 euros de plus qu’il y a un an sur les 3 tonnes (au début du contrat, le prix proposé était fixé à 1 euro le kilo voire un peu moins) et l’inquiétude grandit pour l’année prochaine : si la citerne se vide avant le printemps, faudra-t-il décaler les plantations pour faire des économies ? En sachant que les prix des plants achetés chez un important producteur lyonnais augmenteront peut-être aussi. Concernant la cuisson au gaz dans l’atelier de transformation, le prix de la bouteille est de 300 euros, ce qui représente 1800-2000 euros dépensés tous les deux mois.

Le maraîcher indique aussi qu’en tant que production bio, l’exploitation devra obligatoirement utiliser dès 2025 du gaz bio renouvelable qui sera d’après lui vendu une fortune ou changer la chaudière pour du chauffage au bois, ce qui coûterait 150 000 euros d’installation.

Tout augmente… sauf le chiffre d’affaires

En parallèle des prix de l’énergie, d’autres produits comme les étiquettes ou le verre ont augmenté, impactant l’atelier de transformation. « Nous avons subi 20% sur le verre et 50% sur les capsules. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas répercuter ces hausses sur nos ventes car les gens ont besoin d’un prix cohérent pour pouvoir acheter». Adrien Goddet explique que depuis deux ou trois ans, sur un même produit avec le même temps de travail voire plus, ils gagnent moins. «C’est frustrant et ce n’est parfois pas facile de se motiver le matin».

Le contexte économique a également des répercussions sur leurs contrats salariés. A leurs côtés sur l’exploitation, ils étaient habituellement 4 saisonniers en permanence et 4 CDI. 2 saisonniers ne seront pas renouvelés et les 2 CDI qui arrêtent ne seront pas remplacés. «Nous sommes obligés de nous séparer de la moitié de l’équipe, ce qui va demander une réorganisation. Le SMIC a augmenté de 150 euros de juillet 2021 à juillet 2022 donc sur 4 saisonniers ce sont 600 euros qui s’envolent tous les mois». Il explique que l’exploitation fonctionne malgré tout autant mais qu’il faudrait 3 personnes de plus pour pouvoir prendre un peu de temps pour soi et s’autoriser des vacances. Depuis deux mois, ses associés et lui ne se sont pas versé de salaire en travaillant 15 heurs par jour, certains week-ends compris.

Leur dernier chiffre d’affaires est en baisse de 100 000 euros : 780 000 euros en 2020 et 680 000 euros en 2021.

«Dans l’agricole, nous avons tout pris de plein fouet. Depuis le début de l’année, la production locale ne se vend plus, le marché du bio a 30% de baisse. Nous avons d’un côté la perte de chiffre d’affaires et en parallèle la hausse des charges sur tout : le terreau, les plants… Nous en sommes à un point critique, en sachant que nous avons eu beaucoup de pertes les années précédentes liées au climat et que nous avons subi la sècheresse l’été dernier»

Il dit avoir perdu des dizaines de milliers d’euros en 3 mois d’été. 1000 euros tous les deux jours sur les haricots et plusieurs milliers d’euros sur les tomates, et qu’ils seront confrontés à une perte de rendement cet hiver lorsqu’ils ramasseront ce qui a trop souffert dans l’été.

«Heureusement que la passion est là» conclut Adrien, entre craintes et espoirs pour l’avenir de son métier qu’il aime par-dessus tout.

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Deux serres bi-tunnels chauffées au gaz de février à mai.

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