«La justice, ce ne sont pas que les faits divers»
Photo : Claire Castelar
Pierre-Yves Michau, procureur de la République de Chambéry, apporte quelques éclairages sur sa fonction de magistrat du ministère public, plus couramment appelé «parquet», et sur le fonctionnement de la justice. La Savoie compte deux tribunaux judiciaires : Albertville et Chambéry, qui ont chacun leur zone de compétence. Concernant les mineurs et les affaires criminelles, seul Chambéry est compétent.
Qu’est-ce qu’un procureur de la République ?
«Il y a une dissociation entre les magistrats du siège, ceux qui jugent, qui décident, et les magistrats du parquet, ceux qui poursuivent, qui assurent l’accusation. En tant que magistrat du parquet du Chambéry ma principale fonction est de diriger l’action publique dans le ressort du tribunal judiciaire, d’orienter les procédures et de requérir aux audiences pénales. J’ai deux casquettes essentielles : chef de juridiction, avec des fonctions très diversifiées, et chef du parquet.»
Quelles sont vos missions en tant que chef de juridiction ?
«La présidente, mon homologue pour le siège, et moi-même sommes responsables du bon fonctionnement du service public de la justice de l’arrondissement judiciaire ; nous incarnons l’autorité judiciaire dans le département. Nos missions : animer le tribunal, administrer, organiser, gérer, représenter, communiquer et nous sommes en relation avec les partenaires institutionnels du département (Education nationale, services de l’Etat, forces de sécurité, administration pénitentiaire, associations d’aides aux victimes…).»
Et vos missions en tant que chef du parquet ?
«En plus de diriger mon équipe de magistrats (substituts, vice-procureurs…) et de collaborateurs (attachés de justice, chargés de missions…), je dirige les enquêtes de police judiciaire qui consistent à constater les infractions, identifier les auteurs, les rechercher et les interpeller pour les remettre à la justice. Les policiers et les gendarmes rendent régulièrement compte de l’évolution de leurs enquêtes et une fois que le parquet les considère abouties, il oriente les procédures : classement sans suite, mesures alternatives ou poursuites. Le chef du parquet doit aussi définir la politique pénale mise en œuvre sur son territoire, représenter le ministère public aux audiences et exécuter les peines.»
Quels sont les différents types de procédures ?
«Pour les affaires les plus graves, les crimes, nous faisons déférer la personne à un juge d’instruction et demandons son placement en détention. Par exemple, le meurtrier de la femme assassinée le 9 mars, dont on a retrouvé le corps dans un ruisseau, est aujourd’hui déféré au parquet. Les gendarmes l’ont identifié, interpellé, placé en garde à vue et depuis ce matin (vendredi 21 mars, ndlr) il est dans nos locaux. Nous avons ouvert une instruction, il a été mis en examen par la juge d’instruction puis placé en détention par le juge des libertés et de la détention. Pour les affaires les mois graves, les délits, nous déférons uniquement les personnes déjà connues de la justice ou qui ont commis des faits graves, notamment de violence. Il existe toute une palette de procédures en vue desquelles on peut déférer : comparution immédiate, convocation par procès verbal avec placement sous contrôle judiciaire, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité...»
Un mot sur les mesures alternatives ?
«Ce sont des orientations alternatives aux poursuites dans les cas les moins graves et lorsqu’il n’y a pas récidive : stage de sensibilisation, travail non rémunéré, amende de composition pénale, contribution citoyenne... Les mesures alternatives ont une finalité pédagogique visant à apporter une prise de conscience à l’auteur d’une infraction.»
Vous définissez donc la politique pénale du territoire ?
«D’abord définie par le garde des Sceaux, elle est ensuite déclinée au niveau des cours d’appel par les procureurs généraux, ici c’est une procureure générale, puis affinée localement par les procureurs de la République en fonction des spécificités des ressorts. Quand j’étais en Ardèche, il y avait une forte délinquance routière, ici c’est plutôt une problématique de trafic et d’usage de stupéfiants. Pour rappel, les tribunaux judiciaires sont les juridictions de terrain et appartiennent tous à une cour d’appel. La cour d’appel de Chambéry regroupe les deux départements Savoie/Haute-Savoie.»
Que fait le procureur de la République lors d’une audience ?
«La fonction du parquet est de représenter l’intérêt général dans les procès pénaux. L’avocat représente les intérêts de son client, le procureur de la République s’exprime au nom de la société. A l’audience, il explique pourquoi de son point de vue l’infraction est caractérisée et il requiert la condamnation à une peine qu’il estime être la sanction la plus adaptée au fait commis par le mis en cause et à sa personnalité. Pour un délit, on poursuit devant un tribunal correctionnel et pour un crime devant une cour criminelle départementale ou une cour d’assises.»
On entend souvent que la justice est trop lente ? Que répondre à cela ?
«Le nombre de champs pénaux est très élevé, l’ensemble des activités humaines font l’objet d’un volet pénal car elles sont toutes susceptibles de générer la commission de délits. C’est à la fois une très grande richesse et à la fois nous avons du mal à nous en sortir. Dans chacun de ces domaines, nous recevons des instructions sous forme de circulaire, plus d’une centaine par an. Et on nous demande de réduire les délais de jugement pour une justice qui soit le plus rapide et le plus efficace possible, tout en étant lisible par nos concitoyens. Mais il faut aussi qu’on nous donne les moyens, notamment sur l’exécution des peines qui tardent parfois car les condamnations sont nombreuses et les services engorgés».
On entend aussi que la justice ne fait pas son travail… Votre réaction ?
«Cela ne nous convient évidemment pas mais c’est aussi parce que la justice est méconnue. Les gens ne savent pas comment elle fonctionne, ils sont souvent dans la représentation fantasmée d’un fait divers. Or la justice, ce ne sont pas que les faits divers».
Propos recueillis
par Claire Castelar