La tartifle dans l’Albanais au XVIIIe siècle

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Explorer les archives des XVIIIème et XIXème siècles procure bien des surprises En voici quelques-unes concernant des évènements ou des personnalités plus ou moins connues.

A la fin du XVIIIème siècle, le curé d’Albens note soigneusement dans un carnet : «ses affaires domestiques et les redevances de ses paroissiens». Ce précieux document est aujourd’hui conservé aux Archives départementales de la Savoie. Par deux fois, ces notes font référence à la pomme de terre qu’il nomme «tertiffles» ou «tertiffes». Le curé Cochet emploi le terme francoprovençal et savoyard de «tartiflâ» pour nommer le tubercule venu du Pérou via les espagnols au XVIème siècle. Au moment de son arrivée en Italie par le port de Gênes, la plante reçoit le nom de truffe qui se dit «tartoufli» en piémontais. A son arrivée en Savoie vers 1730, nommée «tartifle», elle devient peu à peu un élément de la nourriture quotidienne de la population. Dans le même temps les voisins français, sous l’impulsion du célèbre Parmentier, se familiarisent aussi avec le tubercule qu’ils nomment pomme de terre. En Savoie le nouveau terme ne rencontre pas de succès et l’on continue de cultiver et consommer la «tartifle».

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Illustration tirée d’un manuel scolaire.

C’est elle que le curé d’Albens s’apprête à cultiver en 1790 lorsqu’il note «reçu 2 quarts de tertiffles de P. pour planter le 21 avril». Un beau volume d’environ 20 litres de semences que le jardin de la cure ou un champ voisin vont recevoir en ce début de printemps. Une pratique qui n’a rien de surprenante car cette culture connait alors un beau succès comme l’écrit l’historien Jean Nicolas : «On la voit alors gagner la vallée de l’Isère, les environs d’Aix, la région du Vuache, le Chablais ; cantonnée jusqu’alors aux jardins, elle passe dans les champs». Dans son ouvrage «Topographie médicale de la ville de Chambéry et de ses environs» publié en 1787, le docteur Daquin rapporte qu’il «n’y a pas un paysan qui n’en cultive». La pomme de terre est devenue en Savoie la nourriture principale des petites gens tout en n’étant pas absente des tables plus aisées. Les «tartifles bouillies» s’inscrivent régulièrement à l’ordinaire des populations qui concoctent aussi de terribles recettes comme celle que découvre le genevois Saussure en 1786 à Chamonix où les habitants font une sorte de pain «à la vérité gluant et compact, mais dont leur sobriété et leurs bons estomacs ne s’accommodent point mal». Bien vite vont apparaître de plus alléchantes recettes avec les gratins, farçons et autres boulettes dans les maisons où l’on disposait facilement de lait, d’oeufs et de fromages. Le carnet du curé Cochet ne nous permet pas de connaître ses recettes favorites mais nous révèle ses pratiques commerciales. C’est le cas en 1787 lorsqu’il commande «12 barils de vins chez François Gonet, vigneron de Chautagne» et paye en nature avec entre-autre «2 quarts de tertiffes». La pomme de terre monnaie d’échange contre une belle quantité de vin, le baril valant alors 56 litres. Trente ans plus tard, le préfet Verneilh, dans son volumineux «Dictionnaire statistiques du département du Mont- Blanc» dresse un portrait enthousiaste au sujet de la pomme de terre : «La culture de la pomme de terre est devenue générale… depuis quarante ans…Il n’y a ni grande ni petite exploitation qui ne produise des pommes de terre en quantité suffisante pour qu’on puisse en servir partout au moins une fois par jour. Cette production… est à la fois le pain et le met pendant une partie de l’année des deux tiers de la population… Le campagnard mange cette racine sans apprêt, tandis que dans les villes l’art des cuisiniers la présente sur les meilleures tables». Grâce à cet ouvrage on découvre les principales variétés cultivées «L’une, rouge et ronde qu’on dit venir de Pennsylvanie… Une sous variété plus hâtive que la première, plantée au mois de mars croît et murît en moins de cent jours. Une troisième est la pomme de terre blanche qui vient d’une grosseur étonnante».

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Tableau : collection Ducret.

Tout au long du XIXème siècle et du siècle suivant, la tartifle va gagner la bataille linguistique l’opposant à la pomme de terre. Le «Journal du Commerce» qui voit le jour à Rumilly en 1871 publie régulièrement le cours des produits agricoles dont celui de la pomme de terre. Les agriculteurs de l’Albanais lui donnent alors le surnom de «Tartifli», une appellation qui restera attaché au journal lorsqu’il se nommera après 1945 «L’Agriculteur savoyard» mais qui peu à peu s’effacera dans les années 80.

Le monde des sports d’hiver va prendre la relève avec l’invention d’un plat à base de pomme de terre et de son appellation de «tartiflette». Cette sorte de gratin va devenir le plat symbolique des stations de ski avec son image de convivialité et de terroir. Avec cette petite terminaison, le terme de tartifle connaît une diffusion bien au-delà de la Savoie. L’aventure du mot va connaître un nouvel essor en 2001 avec l’invention par un site web consacré aux «riders» d’un slogan humoristique : «In tartiflette we trust». Pour son inventeur «L’idée était de mixer un slogan américain célèbre avec un plat du terroir». La tartifle venait de rentrer, sans qu’on le lui ait demandé, dans l’univers mondialisé du XXIème siècle.

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