L’agriculture, un grand enjeu de société
Jeudi 10 mars, le congrès annuel de la FDSEA des Savoie (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) se déroulait à Albens, en présence de près de 300 personnes, adhérents, élus et acteurs du monde agricole.
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) avait fait le déplacement pour célébrer les 10 ans de la fusion des fédérations des 2 départements. Au programme de cette matinée : une table ronde permettant de faire le point sur l’actualité agricole, entre crise sanitaire et crise en Ukraine, suivie d’une table ronde tournée vers l’avenir concernant la place de l’agriculture dans la ruralité, avec l’ensemble des porteurs de dossiers et des responsables agricoles des Savoie.
«La crise sanitaire a permis une réconciliation entre la société et le monde agricole»
Concernant les problématiques et enjeux des différentes filières agricoles, Bernard Mogenet, président de la FDSEA des Savoie, a d’abord évoqué la guerre en Ukraine : «On sent déjà un impact fort sur le monde agricole, avec l’augmentation du carburant, des engrais, de l’alimentation animale et tout ce qui en découle, c’est une inquiétude qu’on sent monter fortement chez nos adhérents».
La crise sanitaire, quant à elle, a entraîné la hausse des prix des matières premières mais ne semble pas avoir eu d’impact négatif sur les ventes de produits locaux ni entraîné de pertes.
Alain Deloche, agriculteur à Evires, explique que les ventes de fromage s‘étaient écroulées du jour au lendemain, mais grâce au travail collectif et la réactivité des Savoie, une réduction des volumes avait été mise en place chez les producteurs, des dégagements de lait vers la poudre, la fourniture de lait et de fromages vers les banques alimentaires, avec l’aide des Conseils départementaux et certaines intercommunalités : «Nous nous en sommes également sortis grâce à une augmentation des efforts de promotion de nos fromages, ce qui a permis des records de vente entre l’été et l’automne 2020, et nous avons abordé 2021 de façon positive : une filière collective et organisée est une force pour traverser une crise».
Cependant, au 2e semestre 2021, la flambée des prix de l’énergie a eu un impact sur les fromageries consommatrices de gaz, le GNR (gaz non routier) pour les producteurs, les engrais, les concentrés. Il semble donc nécessaire de trouver un équilibre entre la hausse des charges et la baisse de production.
Concernant la viande, un engouement des Savoyards à manger local s’est fait ressentir et la Loi Egalim a permis de faire remonter les courbes de vente de viande des producteurs locaux.
La vision de la population à l’égard du monde agricole a également évolué, comme le souligne Christiane Lambert : «Il faut se réjouir que cette crise ait indéniablement modifié la conception des Français concernant le monde rural. A travers la reconsidération pour l’alimentation, que ce soit de la part de nos compatriotes et de nos dirigeants qui ont mesuré l’importance d’avoir une agriculture quantitative, qualitative, disponible et organisée avec des filières qui fonctionnent et sont réactives. Néanmoins, il ne faut pas que les Français oublient que l’alimentation a un coût et quand les prix flambent autant, il n’y a pas de raisons que ce soit les producteurs qui endossent la totatité de ces hausses et qui subissent ces pertes. La France, depuis 30 ou 40 ans, a habitué les Français à manger pas cher, elle les a rendus promovores. Il n’y a qu’ici que l’inflation alimentaire est à 1,4% alors que l’inflation globale est à 2,8%. L’alimentation a donc augmenté 2 fois moins vite que l’ensemble des autres produits depuis le début de la crise. En Espagne c’est 5,7%, en Irlande c’est 6% et en Pologne 8% et en Argentine c’est 12%. Si les grands distributeurs continuent à vouloir faire manger moins cher, il ne pourra y avoir toutes les transitions attendues de l’agriculture, le renouvellement des générations et des agriculteurs fiers de ce qu’ils font et qui peuvent faire évoluer leurs exploitations.. Et le Covid a rendu service pour montrer le caractère essentiel de l’alimentation, nous avons pu continuer à travailler là où d’autres activités ont dû s’arrêter. Il a permis une réconciliation entre la société et le monde agricole, la considération des Français envers les agriculteurs a gagné 11% entre les 2 confinements».
Problématiques entre accidents climatiques, prédation…
Diverses problématiques ont été abordées durant la 1e partie de ce congrès. Les Zones de Non Traitement (ZNT). La pression foncière, avec l’arrivée massive d’habitants et la proximité avec la Suisse. Les accidents climatiques, avec d’importantes pertes maraîchères comme les pommes et les poires : 30 à 40% de pertes pour les pommes, 70 à 80% pour les poires et 30 à 70% dans de nombreuses exploitations. La brucellose, fléau apparu il y a une dizaine d’années et qui a récemment reconduit à l’abattage d’un élevage en Haute-Savoie. Le loup, comme le souligne Hervé Gaymard, président du Conseil Départemental de la Savoie et ancien ministre de l’Agriculture : «le pastoralisme n’est pas compatible avec le prédateur».
Concernant la nouvelle PAC (Politique Agricole Commune), le président de la FDSEA explique que globalement, l’essentiel a été sauvé avec un budget réduit de seulement 2 %, et qu’elle devrait rester stable dans les Savoie. Son seul regret : «Nous risquons d’avoir une PAC à plusieurs vitesses dans nos différents pays».
Les enjeux de la ruralité au cœur du territoire
Le sujet phare de ce 11e congrès était la ruralité, la place de l’agriculture dans les Savoie et leur avenir.
A la question «Les acteurs du monde rural peuvent-ils mieux faire entendre leurs voix et quel sera demain le modèle de la ruralité des Savoie ?», Bernard Mogenet répond : «la ruralité des Savoie est particulière, c’est un territoire très dynamique, qui a la particularité d’être lié aux autres activités économiques tels que le tourisme et l’industrie. Notre ruralité se distingue par sa péri-urbanité et l’afflux de population qui impactent fortement l’agriculture. Nous avons certes des consommateurs à nos portes, mais aussi une pression importante sur le foncier et des problèmes de partage de l’espace et de cohabitation».
Face au développement de l’urbanisation, d’accroissement de la population en zone rurale, la question de la conciliation de l’espace a été abordée, notamment après des Jeunes Agriculteurs qui, en tant que nouvelles générations, ont toujours connu ce phénomène.
«Nous voulons d’abord essayer de sauver l’espace, car s’il n’y a plus d’espace, il n’y aura plus de conciliation à faire. Pour cela, nous souhaitons communiquer, informer, pour montrer aux gens notre travail, pour les sensibiliser et leur faire comprendre que cet espace partagé qui est leur espace de loisirs est avant tout agricole et alimentaire» indique Guillaume Léger, président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de la Haute-Savoie.
Les enjeux pour l’avenir sont la poursuite du travail collectif au quotidien, le renouvellement des générations d’agriculteurs, la protection des espaces menacés, le dialogue entre les différents acteurs du monde agricole et l’ensemble de la société afin de mieux vivre ensemble. Concernant 2022 : «malheureusement la 1e mission sera de suivre l’évolution de la crise avec la guerre en Ukraine, d’essayer de répondre au mieux aux attentes de nos adhérents, maintenir la capacité économique de nos exploitations et faire en sorte que les gens puissent vivre de leur métier dignement, sereinement».
La force de la communication et du collectif
Le président de la FDSEA des Savoie évoque l’importance de la communication et du dialogue: «pour vivre en milieu rural, il faut en accepter les codes et le fonctionnement. C’est pour nous du travail en plus, en collaboration avec la Chambre d’Agriculture, avec la campagne de communication «Parlons vrai». Ne parlons pas des autres, parlons de nous, dialoguons avec nos voisins, continuons à défendre l’économie de nos territoires et trouvons des alliés, c’est tous ensemble que nous construirons, avec les élus, les chasseurs, tous les utilisateurs des espaces ruraux, des autres activités économiques, en tenant compte des nouvelles générations qui nous apporteront certainement une nouvelle vision des choses».
«Une ruralité vivante»
Selon la présidente de la FNSEA, «la ruralité se meurt dans certains secteurs du territoire, ici c’est tout l’inverse. Les Savoie sont une ruralité vivante». Elle évoque la mise en place du Manifeste pour des ruralités vivantes. «Dans ce manifeste, nous sommes 40 partenaires du monde économique avec 10 propositions d’urgence autour de 4 thématiques : l’emploi, l’activité facilitée au quotidien, le développement durable et le vivre ensemble. La raison pour laquelle nous avons voulu faire cette plateforme et ce manifeste pour des ruralités vivantes et des territoires dynamiques, c’est justement partant du constat que pour beaucoup, les espaces agricoles sont des espaces récréatifs alors qu’ils sont avant tout pour nous productifs. Et tout le défi aujourd’hui est de concilier ces espaces productifs indispensables pour les agriculteurs et les entrepreneurs. Les agriculteurs occupent 56% du territoire français et si la France est belle c’est parce qu’elle est cultivée partout».
Christiane Lambert affirme que les Savoie sont un territoire bénéficiant d’un grand nombre d’atouts : attractivité, gastronomie, identité forte, de beaux espaces naturels,… Avant de conclure que : «L’agriculture, c’est bien plus que l’agriculture, c’est l’alimentation, l’emploi, le territoire, l’environnement, l’équilibre territorial, la vie démocratique. C’est plus qu’un sujet économique, c’est plus qu’un sujet sociétal, c’est un grand enjeu de société. Marchons la tête haute, nous sommes l’avenir dans de nombreux secteurs d’activité».
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Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, avec à sa droite Cédric Laboret, président de la Chambre d'Agriculture Savoie Mont-Blanc et Régis Clappier, président de la Fédération des Chasseurs de Savoie, et à sa gauche Bernard Mogenet, président de la FDSEA des Savoie et Guillaume Léger, président des Jeunes Agriculteurs de la Haute-Savoie.