Le loup en Haute-Savoie

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Alors que ça fait maintenant une quinzaine d’années que le loup est revenu dans le département de la Haute-Savoie, la cohabitation ne se passe pas très bien avec les éleveurs locaux. Le nombre d’attaques du prédateur est en effet en constante augmentation depuis l’année 2014, avec un pic en 2019 et une augmentation de 20% constatée au 1er septembre 2020.
Différents acteurs se sont donc réunis jeudi dernier au Col de la Colombière pour discuter de la situation. On y retrouvait entre autre le nouveau préfet de la Haute-Savoie, le préfet référent loup au niveau national, des représentants de la FDSEA, des chasseurs, des louvetiers et un éleveur victime d’une attaque la semaine précédente.

Le Préfet reconnaît une situation complexe
Alain Espinasse, Préfet de la Haute-Savoie a affirmé s’être déplacé afin de comprendre un sujet «complexe, sensible, clivant». En effet, plusieurs points de vues s’opposent au sujet du loup. Certains veulent voir l’animal pouvoir se développer librement tandis que le monde agricole s’y oppose farouchement, craignant pour la vie des bêtes en pâturages.
L’animal étant de toute manière protégé par la Convention de Berne de 1979, dont la France est signataire, un seuil de viabilité a été fixé à 500 animaux. Le chiffre étant officiellement de 580 bêtes, un calcul a été fait et donne le droit de prélever 110 d’entre elles. Le Préfet a toutefois reconnu qu’il y a plus de loups que ça en France. Il a ainsi déclaré que 580 est le nombre minimum dont les autorités sont sûres, mais que personne ne sait exactement à combien s’élève le total.
Les éleveurs ne sont néanmoins pas totalement abandonnés. Il y a plusieurs dispositifs qui permettent de leur venir en aide, comme la subvention à hauteur de 80% des moyens de protection ou l’indemnisation en cas d’attaque (qui nécessite que des moyens de protection soient installés).

Les éleveurs dans une situation précaire
L’un des grands enjeux du débat autour du loup est la situation des éleveurs. En effet, on a pu voir plus haut qu’ils sont aidés pour protéger leurs troupeaux et indemnisés en cas d’attaque. Mais cela ne fait pas tout. Il y a d’abord le problème de l’aide à la protection des troupeaux. Elle s’élève à 80% du cout total, ce qui pourrait sembler généreux. Dominique Tochon-Ferdollet, l’éleveur qui a accueilli tout ce public nous a pourtant expliqué que le prix d’une telle protection reste élevé. Il faut d’ailleurs aussi installer cette clôture, ce qui lui prend quatre journées complètes au printemps et trois pour la démonter en hiver. Il se rappelle qu’à l’époque où son père s’occupait encore de l’élevage, ils pouvaient les laisser en liberté totale sur environ 3km. Maintenant, il n’utilise plus que 34 hectares alors que les deux tiers du terrain sont inutilisables.
Outre la question financière, il y a donc une pression psychologique qui s’exerce sur les éleveurs. Bernard Mogenet, le président de la FDSEA des Savoie, a rappelé qu’un stress immense s’exerce sur les éleveurs, alors qu’ils ne savent pas s’ils retrouveront toutes leurs bêtes au matin, mais aussi qu’on leur demande de travailler dans des conditions qui ne sont «pas dignes du 21ème siècle». Peu accepteraient effectivement, en 2020, de monter en alpage dormir auprès des animaux, éloignés de toute vie sociale et familiale.

Des mesures à adapter
Philippe Meunier, vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes a indiqué que le loup coûte la bagatelle de 30M€ par an à la France et que la Région verse quant à elle 2M€ chaque année. C’est ce que confirme la Société d’Économie Alpestre par la voix de son directeur, Antoine Rouillon : plusieurs millions d’euros sont investis sur les alpages de Haute-Savoie afin de maintenir voire reconquérir les alpages de Haute-Savoie.
M. Rouillon souligne toutefois que le département a une spécificité qui tient dans la présence très importante de troupeaux bovins. Il relève donc que le plan loup prend presque uniquement en compte les troupeaux d’ovins, surtout en ce qui concerne l’indemnisation des éleveurs. Il souhaiterait donc que ce plan soit adapté alors qu’il est difficile de parquer des vaches la nuit ou de la faire surveiller par un chien de protection.
Cette spécificité rendant difficile la protection de certains troupeaux a d’ailleurs fait que 10 éleveurs ont déjà redescendu leurs alpages alors que la saison n’est pas encore finie.
On peut d’ailleurs se poser des questions sur la réduction du nombre d’alpages. Les herbivores participent à la bonne tenue des prairies dans lesquelles beaucoup aiment aller se promener. Sans ces animaux, ce seraient des friches que nous verrions à la place des champs, rendant de fait la promenade et la randonnée beaucoup plus difficiles. Ceci alors qu’elles ont une place loin d’être négligeable dans l’économie alpine. 

Quel futur pour les éleveurs ?
Pour Bernard Mogenet, «tant qu’on ira avec les fusils, on n’éradiquera pas le loup. Par contre on risque d’éradiquer les éleveurs». Il s’inquiète en effet pour la santé mentale des éleveurs, qui sont laissés bien seuls face à ce problème.
Il est rejoint en cela par Antoine Rouillon, pour qui la diminution des attaques ne doit pas être la responsabilités des éleveurs mais celle de l’État. On notera d’ailleurs qu’en cas de problème avec un chien de protection, c’est l’éleveur qui se retrouve à la barre du tribunal, sans l’État à ses côtés. Alors que c’est ce dernier qui lui a dit de prendre ledit chien.
Dominique Tochon-Ferdollet abonde dans le même sens. Après avoir subit quatre attaques depuis le début de l’été, il est à bout. Les louvetiers ont déjà passé six nuits sur le terrain pour essayer de neutraliser le prédateur mais n’ont toujours pas réussi. Il se demande alors s’il va continuer son activité d’éleveur, alors que les subventions mettent près d’un an à arriver et ne permettent donc pas d’assurer une trésorerie. Il a d’ailleurs anticipé en vendant ses agneaux plus tôt que d’habitude, pour moins cher évidemment, afin de se garantir un revenu.
Au final, plus personne n’est contre le loup en lui-même, chacun des acteurs s’est fait à l’idée qu’il faudrait bien vivre avec. Ce qui ressort, c’est que loup et pastoralisme ne sont pas compatible puisque le premier mange le second. 
Ce qui est demandé, c’est que le canidé soit tenu éloigné des troupeaux, que chacun ait sa zone de vie et ne se croise pas. Mais surtout que la législation soit revue afin d’être plus précise et plus en adéquation avec la réalité du terrain.
 

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