Les libraires en péril ?
A première vue, le projet semble plutôt généreux ! Cette semaine, l’Assemblée plénière du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes devrait se prononcer sur la gratuité des livres scolaires pour les lycéens des établissements publics de la région. Une initiative qui, si elle satisfait certains parents (mais pas tous), provoque bien des remous et ne fait pas vraiment l’unanimité.
Jusqu'à présent chacun des lycéens rhônalpins recevait de la région, grâce à la carte «Pass’Région» une somme de 100 euros pour se procurer ses livres par le canal qu’il préférait : librairies ou bourses aux livres organisées par les associations de parents d'élèves. Les familles devaient parfois compléter mais pouvaient revendre les ouvrages en fin d’année. Laurent Wauquiez, le président de la Région, veut modifier le système en proposant l'achat de livres groupé par le biais d’un marché public.
Du côté de l’opposition au Conseil régional, on dénonce un certain flou dans cette initiative prise «sans réelle concertation» et un risque pour l’ensemble de la profession des libraires. Du côté de certaines associations de parents d’élèves, le projet inquiète aussi car les bourses aux livres sont un moyen d’approcher les familles. «En Auvergne où la Région gère déjà directement l'achat des manuels, la PEEP indique avoir divisé par 20 le nombre de ses adhérents».
Mais ce sont les libraires qui «montent aux créneaux avec le plus de véhémence. Ils dénoncent un système qui mettrait en danger l’équilibre des commerces. Selon l'association des libraires de Rhône-Alpes certains pourraient perdre «jusqu'à 25% de leur chiffre d'affaires». Le Syndicat de la librairie française (SLF), qui regroupe quelque 600 librairies, vient d’adresser un courrier à Laurent Wauquiez, afin de le convaincre des risques d’un changement de mode de financement des manuels scolaires au lycée.
«Si ce projet se concrétisait», peut-on lire, «il retirerait 30 millions d’euros de chiffre d’affaires aux libraires de la région au profit d’adjudicataires extérieurs. En effet, si le fonctionnement des libraires est tout à fait adapté aux achats par les familles, il ne leur permet pas, sur un plan financier et logistique, de répondre à des marchés publics très importants.
Ce sont donc des grossistes spécialisés, implantés en dehors de la région, qui profiteraient de cette réforme, ce qui est tout à fait paradoxal.
S’ajouteraient à cette perte directe de chiffre d’affaires pour les libraires, la disparition des achats additionnels des familles lors de l’achat des manuels, ainsi qu’une baisse de fréquentation, notamment de la part des jeunes lecteurs. Si les librairies résistent, en Auvergne-Rhône-Alpes comme dans d’autres régions, c’est au prix d’un engagement humain et financier très lourd, leur rentabilité, inférieure à 1% en moyenne, étant la plus faible du commerce de détail. Dans ces conditions, l’écroulement d’un pan entier de leur activité provoquerait inéluctablement de nombreux licenciements, voire des fermetures définitives.
Le SLF demande en conséquence à la Région Auvergne-Rhône-Alpes de renoncer à ce projet et de chercher, dans la concertation, un compromis conciliant l’intérêt des familles, d’une part, et la pérennisation du réseau des librairies et des emplois locaux, d’autre part ». Pour mémoire, lors de la campagne des régionales, en 2015, Laurent Wauquiez avait assuré qu'il n’envisageait pas un achat groupé pour les livres scolaires, en soutien aux librairies indépendantes.