Les raisons de la colère

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La réhabilitation des anciens thermes nationaux d’Aix-les-Bains est un sujet pour le moins clivant. Si tout le monde s’accorde sur le fond, c’est-à-dire qu’il faut absolument prendre soin de ce patrimoine avant qu’il ne tombe en ruine, la forme divise plus. Du côté de la majorité municipale, un choix fort a été fait : céder les thermes à un groupement privé pour la somme de 1,2M€ afin qu’ils prennent en charge la rénovation du bâtiment. Cependant, il existe une opposition assez forte sur ce sujet. Cette opposition prend deux formes : une partie conteste la vente des thermes, considérant qu’il faut les garder dans le domaine public, l’autre partie s’en prend au projet, refusant que des tours soient construites au-dessus du bâtiment.
Il est cependant à noter que les deux oppositions au projet s’accordent sur une chose : la consultation ayant eu lieu en février au sujet de quel forme va prendre le bâtiment n’était pas juste. En effet, l’association «Sauvons le patrimoine historique de la métropole d’Aix-les-Bains» conteste le fait qu’il n’y ait pas eu de proposition permettant de choisir un projet sans tours. Cette association relève qu’une loi de 2016 devrait normalement empêcher le fait que ce bâtiment, partiellement classé, puisse être transformé alors qu’il y a dans un périmètre de 500 mètres autour deux bâtiments qui sont eux complètement classés : l’Arc de Campanus et la mairie. Ils ont donc l’intention d’effectuer un recours gracieux contre la décision n°4 du conseil municipal du 5 novembre dernier, qui donnait un avis conforme à la hauteur de la future construction. Leur but est de faire annuler l’érection de ce futur bâtiment, quitte à aller jusque devant le Conseil d’État si nécessaire.
Pour M. Fié, conseiller municipal de la minorité, la consultation n’a aucune valeur. Bien entendu, il conteste le fond, parce que seule la hauteur voulue (12 ou 17 étages) était demandée, pas l’idée même de faire un immeuble. Mais aussi la forme, avec l’absence de contrôle : comme il suffisait seulement de renseigner une adresse e-mail, certaines personnes se seraient vantées d’avoir voté jusqu’à plusieurs dizaines de fois afin d’avoir une plus grande influence sur le résultat final.
Il souligne d’ailleurs, tout comme l’association, que diverses pétitions ont circulé dans la ville. Chacune d’entre elle a recueilli des centaines de signatures, montrant qu’un certain nombre de personnes n’ont effectivement pu faire entendre leur voix dans ladite consultation.

Comment la mairie se défend-elle ?
Plusieurs réponses sont données par la mairie à ces divers problèmes. Concernant les fameuses tours, il faut savoir que le Directeur Régional des Affaires Culturelles (DRAC), l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) et le directeur général des monuments historiques ont déjà donné un avis conforme sur le projet. Cet avis, le maire ne peut pas s’y soustraire pour délivrer le permis de construire. De plus, le DRAC suivra les travaux durant toute leur durée et décidera s’il faut faire des modifications ou des évolutions. Ainsi, au fur et à mesure des étapes du chantier, le DRAC examinera les plans et dire ce qui convient et ce qu’il faut changer. 
Le souci de la majorité, c’est le financement. Un cabinet d’architectes du patrimoine (Archipat, à Lyon) a évalué les coût de restauration des thermes à environ 50M€. Il serait donc impossible de financer un tel projet en fonds propre, d’où la nécessité de vendre le bâtiment à Bouygues, qui construirait les deux tours d’habitation pour rentabiliser la rénovation. C’est cependant un aspect qui est contesté par M. Fié. Il indique que au vu de l’endettement de la ville, faible par rapport à une ville équivalente, permettrait de faire un emprunt. Sans compter que le casino rapporte plus de 4M€ chaque année a lui seul, en plus de diverses rentrées d’argent régulières qui font d’Aix-les-Bains une ville «riche». De plus, si la rénovation était commandée par la collectivité, une part de subventions non négligeables pourrait être accordée par diverses institutions. Il faut cependant noter que Dominique Dord a, lors de ce conseil municipal du 5 novembre, déclaré que souscrire à un emprunt pour rénover les thermes reviendrait à augmenter considérablement les impôts locaux pour le contribuable aixois.
Quand des reproches leurs sont faits, les membres de l’exécutif municipal aiment à répondre que la critique est facile mais que faire des propositions serait plus judicieux. La réponse de l’association, par la voix de Mme Couderc, sa présidente, est simple : «l’association est là pour défendre le patrimoine. […] Le projet, c'est un projet immobilier, un projet commercial, et ça n'est plus du tout notre ressort». Leur objectif à eux, c’est d’empêcher que le patrimoine soit dénaturé. Ils ne se considèrent pas assez spécialistes pour pouvoir proposer un projet alternatif, n’ayant pas toutes les clés en main. Même son de cloche chez Dominique Fié : «Ça fait dix ans qu'ils tournent en rond, que la ville et Bouygues ont des cabinets qu'ils paient, ce qui coûte des millions. Les élus de la minorité, on n’a pas les millions. On peut dire les choses mais après, être sûrs que c'est faisable, non.»

Les problèmes pratiques
Le déménagement des différents occupants des lieux pose aussi problème. Si la plupart des services municipaux ont déjà trouvé un endroit, la mairie a deux épines dans le pied. La première, c’est le Centre Hospitalier Spécialisé (CHS), qui se trouve au quatrième étage. Il est prévu dans le bail que s’il part, la ville doit rembourser les investissement non-amortis, ce qui représente une somme de 800 000€ selon M. Fié. Le souci ici n’est donc pas la relocalisation, qui devrait déjà être trouvée mais de dire qu’il y aura une somme relativement importante à dépenser en plus d’autres. L’autre occupant important des thermes, c’est l’école Peyrefitte. Avec 400 étudiantes et étudiants, sans compter le personnel, elle a besoin de trouver un nouvel espace pour l’année scolaire 2020-2021, car les lieux doivent être vidés en juin 2020. Or, il y a déjà eu trois propositions et aucune n’a encore abouti.
En ce qui concerne les frais annexes, la mairie va devoir payer de sa poche plusieurs choses. Tout d’abord, le désamiantage. Acheté au début de la décennie à l’État en l’état, le bâtiment doit être nettoyé de son amiante. Le contrat stipule que c’est la ville qui le prendra en charge, les estimations actuelles étant aux alentours de 2,5M€. En plus de ça, il y a donc la compensation à verser au CHS et plusieurs millions d’euros pour divers achats et locations pour reloger les services et rénover les bâtiments dans lesquels ils seront installés. M. Fié a d’ailleurs indiqué que la ville a provisionné 15M€ pour gérer l’ensemble. À opposer au 1,2M€ récupéré pour la vente du bâtiment. Côté mairie on se défend en disant que cette vente est une opération blanche vu que le prix de vente est le même que le prix d’achat à l’époque. M. Beretti indique que c’est aussi parce que Bouygues va financer 50M€ de rénovation, pour une facture s’élevant à près de 100M€ au total avec la construction des habitations, que la municipalité a accepté de prendre en charges certains frais. Il indique ainsi que «la somme globale est proportionnellement petite par rapport à ce que va devoir assumer le groupement.»
M. Fié et l’association de Mme Couderc soulignent aussi qu’il risque d’y avoir un problème d’urbanisme. Tout d’abord, durant les travaux, il y aura forcément des fermetures de routes, entrainant encore des problèmes de circulation dans la ville. Mais aussi, avec près de 200 logements dans les deux bâtiments surplombant les thermes, un afflux de nouveaux habitants risque de se créer. Si la mairie promet l’agrandissement du parking de l’Hôtel de Ville et un nouveau parking sous les thermes romains, il y aura probablement des problèmes d’accès. Il faudra donc prendre des décisions majeures d’urbanisme afin d’éviter que la ville devienne un embouteillage géant. Sans parler de la pollution créée par un tel nombre d’automobiles et la baisse de qualité de l’air qui s’ensuit.

Quelle suite sera donnée ?
C’est donc un bras de fer qui s’annonce dans les mois à venir. Les travaux de désamiantage vont commencer dès le mois de janvier, ce que personne ne devrait contester. Mais une procédure sera lancée afin d’empêcher la construction de ces fameuses tours et les opposants feront leur maximum pour que les thermes restent dans le domaine public. Cependant, la majorité municipale étant assez large, l’acte de vente signé et le DRAC ayant donné son approbation, il semble peu probable que tout cela aboutisse. Reste donc à voir quelle sera l’évolution de l’opposition au chantier et comment s’y prendra-t-elle pour faire plier la mairie. 
 

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