«L’interim a toujours été un employeur très fort du bassin de l’Albanais»

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Le travail intérimaire, qui s’est installé en France dans les années 1950 selon le modèle américain, n’a cessé d’accroître au fil des décennies et constitue un bon indicateur de l’activité économique. L’intérim a toujours eu une place très importante dans le monde du travail de la Haute-Savoie et plus particulièrement du territoire de l’Albanais. Ses plus grands secteurs d’activité sont l’industrie, le transport-logistique et le BTP qui représentent 80% du marché. La région Auvergne Rhône-Alpes est la deuxième région en France en matière d’emplois temporaires et de recrutement, elle représente 14% des effectifs intérimaires nationaux et 15% des recrutements réalisés par les agences d’emploi. Comment l’intérim a-t-il évolué de manière générale et plus particulièrement sur notre territoire ces 10 dernières années, depuis la crise sanitaire et depuis le début de l’année 2022 ?

1200 intérimaires en moyenne

Dans l’Albanais, plusieurs entreprises industrielles ont depuis longtemps recours aux emplois intérimaires, employant au total et en moyenne 1200 intérimaires. «L’interim a toujours été un employeur très fort du bassin de l’Albanais. Il y a une dizaine d’années, 70% des besoins ponctuels de personnel étaient servis par de l’interim car les pratiques locales faisaient qu’il y avait un recours explosif à ce mode d’embauche. La plupart des entreprises ne proposaient pas de CDD et leurs activités de production étaient calées sur les saisons, comme l’entreprise Salomon, fermée en 2008, qui avait son site de production de skis à Rumilly et qui employait 600 intérimaires sur les périodes concernées» explique Jessyka Debornes, directrice de l’agence Manpower de Rumilly, également vice-présidente et responsable du groupe Ressources Humaines du CAE (Comité d’Action Economique Rumilly - Alby Développement). Cinq entreprises du territoire portaient alors à elles seules 80% de la consommation de travail temporaire, puis de plus en plus d’entreprises se sont développées dans Rumilly et ses alentours, avec notamment l’arrivée de nombreuses plateformes de logistique, le foncier étant accessible et beaucoup moins coûteux qu’à Annecy, et la sortie d’autoroute d’Alby sur Chéran étant un point d’attrait pour les transporteurs.

Taux de chômage le plus bas de France pendant la période Covid

L’arrivée de la crise sanitaire en 2020 a été un véritable coup de massue pour le marché de l’interim, mais un retour à la hausse du niveau d’embauche a été constaté dès 2021.

En 2020, la crise Covid a été le gros choc dans le monde du travail, avec l’arrêt complet et la fermeture durant le premier confinement de toutes les entreprises employant des intérimaires excepté celles de l’agroalimentaire. Dans le territoire de l’Albanais, les entreprises ayant rapidement relancé leur activité, avec les protocoles sanitaires en vigueur, ont explosé en matière de productions.

«Les années Covid nous ont menés à une réflexion sur les réorganisations des entreprises et des agences mais également du sourcing des intérimaires car le périmètre d’activité sur l’Albanais a véritablement bondi. Les gens ont consommé des céréales, du fromage, ont cuisiné et acheté des équipements de cuisine, ont refait leur intérieur, etc… Les gros donneurs d’ordre en intérim ont donc explosé, en sachant que toutes les plateformes logistiques étaient submergées de commandes». Le nombre d’intérimaires a ainsi battu des records sur le territoire, pas loin de 1400 au total, et un taux de chômage de 5,8%, taux le plus bas de France pendant la période Covid.

«Cette période nous a fait récupérer tous les salariés de la restauration, de l’hôtellerie, de la santé, de l’aide à la personne qui ne voulaient pas se faire vacciner et qui ont quitté leur profession pour aller sur d’autres projets. Nous les avons accompagnés dans des visites d’usine, avons organisé des journées découvertes, des portes ouvertes dans les entreprises, nous les avons orientés vers de nouveaux métiers pour la plupart en lien avec le monde de l’industrie» ajoute Jessyka Debornes.

De plus en plus de postes à pourvoir et de moins en moins de postulants

Le marché de l’interim s’est peu à peu transformé, avec de plus en plus de postes à pourvoir et cependant de moins en moins de postulants. «Nous sommes donc allés les chercher sur d’autres plateformes et sur les jobboards et nous avons organisé des actions d’attractivité, comme des déplacements en mini-bus pour organiser des job datings en collaboration avec Pôle Emploi, et diverses campagnes de recrutement».

La crise sanitaire a eu un vrai impact sur le rapport des gens au travail et sur leurs exigences. Le taux d’absentéisme n’a cessé d’augmenter, que ce soit chez les intérimaires ou les personnels en poste, et de nombreuses personnes se sont tournées vers une reconversion professionnelle. Le mode de recrutement a ainsi évolué, incitant les agences d’interim à s’adapter et à faire du sur-mesure pour les candidats dont le pouvoir de négociations a augmenté, concernant le salaire, les horaires, la mobilité, la prise de congés et, dans le secteur du tertiaire, le télétravail. «Il y a un marché tellement actif que les candidats vont voir là où c’est le plus cohérent avec leurs envies et leurs besoins. En tant que recruteurs, nous avons dû changer la structure de nos entretiens. Aujourd’hui, nous leur demandons avant tout quel est leur projet. Avant, c’était l’offre qui faisait le marché, aujourd’hui c’est le CV qui fait le marché et c’est à l’entreprise de répondre le plus vite possible pour avoir une chance d’obtenir la candidature» précise Jessyka Debornes. La problématique actuelle des entreprises est de trouver comment fidéliser le collaborateur, et le message que les agences de recrutement doivent désormais porter est l’importance du lien employeur-salarié : comment s’intéresser à son patron en tant que travailleur et comment s’intéresser à son salarié en tant que patron.

Fins de contrat d’interim pour deux grosses entreprises

L’emploi intérimaire était donc au beau fixe, jusqu’en ce début d’année où les chiffres ont commencé à reculer dans le territoire. Deux des employeurs les plus importants ont été contraints de mettre fin à leurs contrats d’interim durant le premier semestre 2022, l’un ayant surproduit en 2021, et l’autre ayant dû diminuer de moitié ses chaînes de production depuis l’arrêté préfectoral de crise sècheresse. Une hausse soudaine de demandeurs d’emploi a ainsi été constatée. «Nous réfléchissons à la création d’un évènement pour mettre en relation les demandeurs d’emploi avec les employeurs locaux qui ont de l’activité et qui vivent une pénurie de personnel, notamment dans la logistique, le transport et le BTP». Ces intérimaires sont disponibles et pour autant les employeurs n’ont pas de postulants, car soit ils n’ont pas les compétences, soit ils ont une exigence de salaire pas forcément cohérente avec le marché offert soit ils ne veulent pas retravailler dans l’immédiat. Face à ce constat, une rencontre entre les demandeurs d’emploi et les offreurs d’emploi est envisagée à l’automne par le CAE, une sorte de mini-forum de l’emploi, en collaboration avec Pôle Emploi, pour répondre à la pénurie de personnel et pour éventuellement mettre en place des formations.

La priorité a été de repositionner les intérimaires en CDI, les agences ayant pour obligation de les replacer ailleurs car dans le cas contraire, elles doivent les payer étant donné qu’ils ne sont plus demandeurs d’emploi. Concernant tous les autres, un diagnostic de leur parcours et de leur profil a été effectué. Chez Manpower, 20% des contrats d’intérim en équivalent temps plein sont portés par des CDI intérimaires.

L’avenir de l’intérim ?

Jessyka Debornes travaille depuis 32 ans chez Manpower, où elle a été à la tête de différents postes selon l’évolution du marché de l’emploi. Originaire de la Roche-sur-Foron, un poste lui a été proposé sur Rumilly, véritable territoire industriel auquel elle ne s’attendait pas. «J’ai eu un coup de coeur pour ce territoire, tout le monde se connait, il y a vraiment une relation de proximité entre les différents entrepreneurs, et nous sommes dans une logique de partage de nos pratiques et de nos difficultés».

Après le choc de la crise économique en 2008, la politique de Manpower fut de regrouper les petites agences, et Jessyka Debornes a alors pris la gestion du périmètre Rumilly / Aix-les-Bains / Annecy. «Puis les entreprises étant beaucoup plus actives et demandeuses de personnels, nous avons refait des découpages cellulaires et j’ai contribué au développement des agences implantées dans les entreprises, à savoir l’installation de mini agences d’interim directement dans l’usine». Il s’agit d’un mini-bureau qui permet un lien direct avec les intérimaires, les chefs d’équipe et les Ressources Humaines. Ce dispositif semble bien se développer depuis une dizaine d’années. «C’est du sur-mesure pour l’entreprise qui permet la montée en compétences grâce à des parcours de formations adaptés et en lien avec les pénuries de personnel, comme le Certificat de Qualification Professionnelle de conducteur de ligne, les Brevets Professionnels en maintenance, pour la logistique…. Nous accompagnons également l’entreprise dans l’évaluation des compétences des collaborateurs pour détecter les meilleurs profils à fidéliser et nous faisons aussi beaucoup d’activités supplémentaires sur la sécurité et les conditions de vie au travail». Ce dispositif est un véritable service RH interim au sein de l’entreprise. Sur les territoires annécien et de l’Albanais, Jessyka Debornes travaille en partenariat avec 6 entreprises.

Le vrai enjeu sur les 5-10 ans à venir des fonctions RH semble être de faire évoluer les managers de proximité pour qu’ils entendent ce que les générations futures vont demander en matière d’intérêt au travail.

«Sur le bassin de l’Albanais, il y aura toujours besoin de personnel intérimaire, car l’interim est le sas d’ouverture pour faire de l’embauche définitive. Donc cette pratique-là n’est d’après moi pas prête de changer car les services RH de nos clients ont besoin de notre expertise de détection de profils et d’évaluation des compétences» conclut Jessyka Debornes.

Le CDI intérimaire

En juillet 2022, le CDI Intérimaire représente 50 427 ETP, correspondant à 5,8% des effectifs des agences d’emploi.

Dans un environnement économique appelant à renforcer la sécurisation des parcours, celles-ci ont accru le nombre de leurs salariés en CDII de 1 604 ETP en un an, correspondant à une hausse de 3,3%. La répartition géographique des CDII se concentre à plus de 40% dans 3 régions caractérisées par une forte orientation industrielle : Hauts-de-France (14,7%), Pays de la Loire (13,5%) et Auvergne- Rhône-Alpes (13,3%)

(Source : Prism’Emploi)

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