Lyon-Turin : un rapport préconise le maintien du fret le long du lac du Bourget
Missionné par le gouvernement, le Conseil d'orientation des infrastructures écarte la possibilité de réaliser un tunnel réservé au fret pour accéder au futur Lyon-Turin avant 2042, voire 2050 ! Les fuites de ce rapport provoquent une levée de boucliers des élus savoyards. Une telle décision se traduirait par une forte augmentation des trains de marchandises à Aix-les-Bains, Chambéry et Montmélian d'ici dix ans.
30 des 162 kilomètres de galeries souterraines du « tunnel de base » du futur Lyon-Turin ont à ce jour été creusés. L'objectif reste de mettre en service ce tunnel ferroviaire transfrontalier en 2032. Le gouvernement italien a programmé 750 M€ (sur un coût total de 1,9 milliard d'euros) pour réaliser les voies reliant Turin au tunnel de base, dans la vallée de Suse, entre juin 2023 et 2029. Mais côté français, les autorités tergiversent sur la question des accès au futur tunnel. À tel point que l'échéance du 18 janvier pour répondre à l'appel à propositions de la Commission européenne afin d'obtenir un cofinancement communautaire a été dépassée... Il faudra donc attendre le prochain appel, en 2024. « Cela fait 20 ans que nous sommes en retard », avait dénoncé l'ancienne Première ministre slovaque Iveta Radicova, coordinatrice européenne chargée du Lyon-Turin, en juin dernier à Turin. « Il est temps de prendre des décisions claires, c'est crucial. Nous ne voulons pas construire un tunnel vide. » Car l'Europe s'inquiète de cofinancer un Lyon-Turin estimé à 9 milliards d'euros alors que les voies d'accès seraient insuffisantes pour atteindre le trafic prévu.
Le ministère des Transports se retranche derrière le fait qu'il attend les conclusions du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), qu'il avait missionné en octobre dernier pour faire des propositions de priorisation des investissements pour les transports en France. Ce rapport n'a pas encore été rendu public, mais plusieurs versions ont déjà été révélées par des médias spécialisés le 16 janvier et ont provoqué de vives réactions des élus savoyards.
Que dit ce rapport ? En premier lieu, le COI épingle le fait que les surcoûts et les délais supplémentaires éventuels du tunnel de base « ne sont pas estimés aujourd'hui ». L'estimation date de 2018 et n'a pas été mise à jour malgré la dévolution des principaux marchés et la crise Covid, ce que le COI considère être une « anomalie ».
Mais c'est surtout sur la question des accès au tunnel de base depuis Lyon que le rapport était attendu. Parmi les trois scénarios qui avaient été étudiés, c'est le « grand gabarit » qui est privilégié (le conseil départemental de la Savoie s'était ainsi prononcé en sa faveur en janvier 2022 lors d'une session exceptionnelle). Il prévoit en particulier la création de deux tunnels pour le fret sous la Chartreuse, Belledonne et le Glandon. C'est aussi le plus coûteux : 6,7 milliards d'euros. Si l'Union européenne pourrait participer jusqu'à 50% de ce montant, la France devrait financer l'autre moitié. Et c'est là que le bât blesse : la mission impartie au COI était de faire beaucoup avec (très) peu... Selon la loi d'orientation des mobilités de 2019, le budget dédié à l'ensemble des infrastructures de transports françaises est de 17,5 milliards d'euros pour la période 2023-2027. Et l'accès au Lyon-Turin n'est évidemment pas le seul projet (le COI chiffre les besoins à 175 milliards pour la décennie à venir...), même si le ministre des Transports, Clément Beaune, l'a spécifiquement cité dans sa lettre de mission comme incontournable.
Moderniser la ligne actuelle Dijon-Modane pour permettre de multiplier le fret par cinq
Pour le COI, une « forte priorité » doit être accordée aux trois projets qui « permettront au tunnel de base Lyon-Turin de bénéficier d'accès suffisamment capacitaires à moyen terme » . Il s'agit ainsi de moderniser la ligne actuelle Dijon-Modane, qui permettrait le transport de 16,8 millions de tonnes de fret par an, soit 67% de l'objectif du tunnel de base Lyon-Turin à l'horizon 2035-2040, à comparer à moins de 3 millions de tonnes actuellement par le tunnel du Mont-Cenis. En 2021, la part du train dans les transports entre la France et l'Italie était de 7,4% (3,5 millions de tonnes, dont 2,7 par le Mont-Cenis), très loin derrière celle de la route (43,4 millions de tonnes, dont près de 12 par le Fréjus). Parallèlement, le COI recommande de réaliser rapidement différents aménagements autour de Lyon, dont le contournement ferroviaire Nord de la métropole.
Quant à l'étape du scénario « grand gabarit », elle n'est pas envisagée avant 2042 si l'on se place au niveau des infrastructures prioritaires, voire 2050, si l'on s'en tient au cadrage budgétaire... Le COI recommande donc de poursuivre les études « sur des aménagements plus modestes mais qui pourraient procurer plus rapidement des bénéfices en termes de robustesse et de capacités pour tous les trafics ».
En attendant, les riverains de la ligne Dijon-Modane, qui traverse la Chautagne, longe le lac du Bourget et traverse Aix-les-Bains avant de rejoindre Chambéry, devront accepter l'augmentation du trafic de fret et l'arrivée de trains de 850 mètres de long dans une dizaine d'années.
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