«Maintenant, on est respecté par les territoires voisins»

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Comme chacun le sait maintenant, Pierre Béchet ne sera pas candidat à sa propre succession aux élections municipales de mars prochain. À un mois de la fin de son mandat, il est revenu pour nous sur les douze années qu’il a passées à la tête de Rumilly. 
Pendant une heure, il a pu expliquer ses décisions, ses fiertés, quelques regrets et quelle avenir il espère pour Rumilly.

Pour commencer, je vous propose de faire un bilan très général de ces deux mandats, et ce que vous en retenez.
Ça a été deux mandats extrêmement riches, puisque la commune était, au moment où j’ai pris la mairie, à un tournant. Il fallait choisir la place que l’on voulait prendre au sein des territoires, tout en étant très proches des agglomérations voisines. 
L’évolution possible était soit de devoir une vraie ville, soit un satellite d’Annecy. La réflexion a donc été de se dire qu’il fallait développer la ville, grâce à la croissance forte de la population, et de développer les services qui vont avec.
On a investi des sommes considérables, à la fois dans les équipements et dans les infrastructures, pour avoir tout ce qui caractérise une ville et ce qu’en attendent les habitants pour y vivre, y travailler, y éduquer leurs enfants, s’y soigner…
Comme j’avais hérité d’une situation financière saine, malgré la crise de 2008, on a eu l’ambition d’attaquer tous ces travaux d’investissement dès le premier mandat en investissant plus de 50M€. 
Donc on a construit des gymnases et des écoles et on s’est aussi attaqués à la restructuration de la ville avec des infrastructures on a réhabilité les tabacs, la place d’arme, les entrées de la ville…
Le deuxième mandat a été dans la prolongation du premier. La problématique majeure de celui-ci a été que la croissance est devenue un peu trop forte du fait de l'attractivité de la Haute-Savoie. 
Aujourd'hui on a un petit peu l'envers de la médaille avec toutes ces populations qui, ne sachant pas où se loger en Haute-Savoie, viennent à Rumilly. 
Donc il a fallu également organiser beaucoup ce que j'ai toujours appelé le vivre-ensemble pour essayer de trouver un lien entre toutes ces populations nouvelles et anciennes qui forcément ne sont pas forcément en vocation à bien s’entendre. 
On a donc dépensé beaucoup d’énergie pour gérer cet afflux et, ce sera une de mes fiertés, tout s’est bien passé.
Et puis le troisième point, il est plus négatif, c'est ce que j'ai vécu au niveau de l'intercommunalité. C'est peut-être le seul regret que j'aurai de mes deux mandats.
Il y a eu, au début du deuxième mandat, une opposition forte entre les communes rurales et la ville de Rumilly, avec cette espèce de guerre déclarée dès le début des élections. 
Finalement je regrette une seule chose, c'est de ne pas avoir accepté cette opposition et de laisser ceux qui le voulaient diriger la communauté de commune, sans la ville de Rumilly.
C’est donc un mandat que j'estime extrêmement positif et qui m'a conforté dans les choix qu'on a eu d'emblée d'essayer de faire de cette ville une ville forte. Maintenant on est respectés par nos territoires voisins, c'est une de mes fiertés. Quand je discute avec les maires environnants, ils respectent beaucoup la ville de Rumilly, ce qui s'est fait, l'énergie qui s'est dégagée de ces mandats.

En ce qui concerne le départ de Salomon, et l’installation du pôle bois industriel et institutionnel, ce dernier n’a jamais vraiment décollé. Est-ce que vous pensez qu’il y aurait fallu faire autrement ?
Alors s'il y a une chose dont je suis fier, c'est d'avoir fait ça. On est dans une situation où, du jour au lendemain, une multinationale qui s'appelle Amer Sports, qui est la holding à laquelle appartient Salomon, n’avait qu'un seul objectif : vendre la totalité de l'immobilier de l’entreprise au plus offrant. Et le plus offrant c'était un immense centre logistique. 
Je m'y suis radicalement opposé, parce que ça ne crée pas d’emploi, ça ne produit rien. C’est le contraire de ce qu’on veut pour son industrie quand on est maire. J'ai dit que je ne laisserai pas faire ça. On a donc cherché des repreneurs industriels.
Donc on a trouvé une entreprise et il s'est trouvé qu'une petite start-up de Thônes avait un projet extrêmement intéressant de construction bois avec des brevets de construction révolutionnaires. Et puis on a dit pourquoi pas, en même temps, en profiter, avec l'industrie du bois, de créer un pôle institutionnel. C'est ce qu'on avait appelé le pôle bois.
Aujourd’hui, le pôle industriel est toujours là. Le système est génial, tout le monde le dit, c'est l'avenir. Sauf qu'ils sont un peu trop en avance et ils ne sont pas dans le marché, ils sont 20-30% plus cher aujourd'hui que la construction traditionnelle. Mais ils avancent, ils tiennent le coup, ils fonctionnent.
Le pôle institutionnel, malheureusement le département n'y a pas apporté l'énergie qu'il fallait. Et  le coup de grâce a été donné quand la région en a repris la compétence : voyant que ce pôle était en décrépitude, ils ont décidé de le laisser tomber. Ça c’est un échec. Et je le regrette, parce qu’il y avait un projet, un très beau projet…

Rue montpelaz et rue des tours : «Je suis très optimiste pour la suite»
Un des projets phares de votre fin de mandat est la réhabilitation de la rue montpelaz et de la rue des tours, qui souffre d’une certaine forme de contestation.
Ce projet n’est pas venu comme ça, il vient dans la continuation de tous nos projets de restructuration urbaine. 
Après tous les travaux, il ne restait plus que cet îlot que nous laissions à charge du prochain maire. Sauf qu'on a eu un coup de pouce extraordinaire : on a été sélectionnés pour le programme Action Cœur de Ville, qui nous donnait des moyens de commencer tout de suite, et dont c’est devenu l’un des projets phares. 
Au début, il ne concernait que la rue montpelaz mais tous les urbanistes nous ont dit que ça n’avait aucun sens de se limiter à cet espace, il fallait faire l’îlot complet. 
Aujourd’hui, on a choisi le projet, que vous découvrirez la semaine prochaine quand on va l’adopter au conseil municipal. Ce qui est d’ailleurs extraordinaire, c’est que le fameux contre-projet qui avait été proposé, le projet qu’on a choisi prend en compte 90% de ses propositions, c’est-à-dire des petits îlots, faire entrer la verdure, garder des jardins…
Ça me rend très optimiste pour la suite, même s’il faut, bien entendu, que mon successeur et ses équipes aient la volonté d’aller au bout.

«Nous avons développé les urgences de proximité»
Comment avez-vous réagi à l’époque de la fermeture des urgences ? C’est toujours un coup dur pour une ville…
Là aussi le rôle de la collectivité a été essentiel. Au début, l’hôpital devait fermer, l’Agence Régionale de Santé (ARS) avait fait une croix dessus. Mais on a refusé de baisser les bras, surtout pour la partie gériatrie. Cette proximité qu’on a est un luxe extraordinaire : les patients peuvent aller quinze jours à l’hôpital puis rentrer chez eux, ça permet un maintien à domicile bien long, c’est extraordinaire.
Petit à petit l’idée de se positionner en suite de soins a émergé, c’est-à-dire de se spécialiser. Maintenant, l’hôpital est spécialisé en suite de soins de cardiologie et neurologie. On a aussi négocié l’ouverture de lits en suite de soins de chirurgie maxillo-faciale. C'est un gros service qui s'est ouvert à l'hôpital d’Annecy, et il y a beaucoup de soins à la suite.
Pour les urgences, on vivait sur la corde raide depuis dix ans, tous les jours la fermeture du service était annoncée. Je suis donc allé voir le directeur de l’ARS à Lyon pour savoir quelle serait la suite. Il a dit qu’on allait essayer d’ouvrir un centre de consultations non programmées, parce que pour avoir le titre «urgences», il faut que tout le personnel d’accueil médical soit spécialisé, et des spécialistes, c’est ce qui manque. 
Donc on a lancé ça au début, simplement jusqu'à 20h. Et il y a eu un gros succès. Ça monte tellement en puissance qu'aujourd'hui, dès le mois d'avril, ça va être ouvert le samedi matin, un quatrième médecin a été recruté. Ça n’a donc pas été la fermeture des urgences, ça a été le développement des urgences de proximité.

Lors des vœux aux acteurs économiques, vous disiez craindre que Rumilly devienne une ville-dortoir si des mesures n’étaient pas prises. Pensez-vous avoir réussi à enrayer ce phénomène ?
Le contraire de la ville-dortoir, c’est la ville avec des équipements et du travail. C’est pour ça qu’on a tant construit et qu’on continuera. 
On l'a beaucoup enrayé en matière de services, de cadre de vie et en matière d’écoles, mais on ne l'a pas encore totalement enrayé en matière d’emploi.
On est en train d'essayer de créer des BTS dans nos lycées pour que les jeunes restent là jusqu'à l'âge des bac+2. 
J’ai aussi été en négociations avec l’Université Savoie Mont Blanc (USMB) pour faire des formations universitaires diplômante qui s’appellent des DU (diplôme universitaire) et se font en alternance.
Si on va à l'école, au collège, au lycée et à l'université à Rumilly, ce n'est plus une ville dortoir, c’est le contraire. Il y a des services et du travail.

« Rumilly doit être une ville forte et à part entière»
Comment pensez-vous que Rumilly va évoluer dans les dix prochaines années ?
L’avenir de Rumilly, c’est justement de continuer à développer des emplois. C’est quelque chose de capital, c'est pour ça que je me suis battu au niveau de l’intercommunalité  pour mettre dans le PLU des réserves foncières pour les zones d’activité.
Il faut aussi qu'elle continue la dynamique qu'il y a aujourd'hui, en particulier sur les deux contrat qu'on signés - Cœur de Ville et Territoire d'Industrie - c'est quelque chose d’essentiel.
Et puis qu'elle prenne résolument le virage de l'écologie. Parce qu'à un moment donné, ça n'a pas été notre préoccupation. Ce n'est pas un regret que j'ai, parce qu'il y a tellement eu d’énergie dépensée, mais on aurait peut-être dû plus faire de ce côté là. Mais j'estime que le prochain mandat devra vraiment marquer une transition.
Donc voilà comment je vois l'avenir : un avenir décarboné, un avenir de ville à part entière et puis un avenir d'être capable de s'imposer dans le puzzle qui va se former. Plus on sera forts, plus on y trouvera notre place. 

Pour l’écologie, est-ce que ce n’est pas un peu facile de remettre la responsabilité au prochain maire alors que vous reconnaissez ne pas en avoir fait un préoccupation majeure ?
J'ai fait le plus gros du travail en matière de ville-centre. Donc on aura fait chacun notre part de boulot. 
Je n'ai pas honte à exiger des choses des suivants parce que je n'ai pas honte de ce que j'ai fait. On aurait peut-être dû accompagner plus, par exemple les plans de couverture obligatoire de toutes les entreprises en photovoltaïque, on aurait peut-être pu le faire plus tôt. Mais on a dépensé beaucoup d’énergie dans ce qu’on a fait, et l’énergie ne se démultiplie pas.
Je n'ai pas honte de leur demander parce que d'ailleurs, tout le monde est à la croisée des chemins. Regardez tous les programmes électoraux : j'ai vu ceux d'Annecy, tout le monde parle de ça, tout le monde parle de décarboner le territoire. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. 
Parce qu'il faudra donner des solutions alternatives aux gens qui ont besoin de leur voiture pour aller bosser le matin. D'ailleurs, pourquoi on soutient aussi le doublement de la voie, l'évolution de la gare ? Ça c'est dans le cœur de ville... Donc non, j'ai pas honte.

Est-ce que vous pensez, pour qu'il y ait des gens qui viennent par choix, ça peut aller justement par le développement d'un bassin d'emploi ?
Ça passe d’abord par le développement des services et du cadre de vie. C’est bien pour ça qu'il y en a de plus en plus qui viennent. 
Par exemple tous les chefs des grosses entreprises avant ils allaient habiter Annecy. Maintenant ils habitent Rumilly.
Il y a d’ailleurs une différence énorme entre les nouveaux arrivants et les anciens. Mais on ne peut pas avoir à la fois les services d'une ville et ne pas avoir quelques inconvénients. 
Et donc autant j'ai été critique sur la communauté de communes sur le positionnement, autant il y a un certain nombre de choses qu'elle a fait qui sont très satisfaisantes. Le réseau J'y Bus, par exemple, c'est quelque chose de formidable. D'ailleurs ça a un fort succès.

Est-ce qu’il y a des choses que vous auriez voulu faire différemment sur ces douze années ?
Oui, il y a un certain nombre de choses que j'aurais souhaité faire différemment. Par exemple, j'étais contre la taxe transport. Il y avait un autre moyen de leur faire financer sans une taxe. Par contre, leur faire financer une partie des dépenses, pourquoi pas. Ils étaient prêts à en financer une partie, mais pas sous forme de taxe.
Il y a aussi la déviation est pour Rumilly, avec le pont sur le Chéran. L'idée même a été refusée radicalement par la communauté de communes. Maintenant il parait que tout le monde veut le faire, même ceux qui l'avaient refusé avant.

«Le dossier qu’il va trouver, c’est le dossier cœur de ville»
Le jour où le nouveau maire va prendre ses fonctions et entrer dans le bureau, quel dossier il va trouver sur le bureau ?
Le dossier qu'il va trouver, c'est le dossier cœur de ville, avec ses trente actions.
On va voter également un plan de rénovation de façade ambitieux. On va y mettre les moyens non seulement en subventions mais aussi en recrutant un architecte conseil qui va accompagner les habitants pour la rénovation de leur façade. Ils ne seront pas obligés de prendre un architecte, il y aura l'architecte de la ville qui sera à leurs côtés.
Et puis le dossier de la prise en main comme chef de la sécurité publique. Moi j'ai toujours été celui-là, celui qui par tout passait en matière de sécurité publique, de sécurité au quotidien. 
Il trouvera sur son bureau les dossiers de sécurité au quotidien, avec l'animation du contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance, avec l'animation de toutes les structures qui vont avec. Et ça, il faut que ce soit le maire qui pilote, il ne faut pas qu'il délègue.
Mais je ne vais pas essayer de laisser des dossiers épineux. J'assumerai les dernières décisions qui font suite à tout ce que j'ai fait, je ne laisserai pas de dossier sur le bureau sans essayer de trancher tout ce que je peux.

Et vous, à partir du 23 mars, vous faites quoi ?
Je vous le dis franchement, la page est déjà tournée. C’est arrivé de manière assez paradoxale, le jour de mon discours de vœux à la population à la salle des fêtes. 
À la fin j’ai ressenti que c’était fini, ça m’a fait un petit choc psychologique et, du jour au lendemain, je me suis tourné sur l’après. D'ailleurs, chez moi on discute plus que de l'après avec mon épouse.
À un moment donné, j'ai eu peur quand même d'avoir cet espèce de sentiment de vide. C'est vrai que je savais pas comment ça allait tourner, c'est difficile, c'est pas commode. Il y avait cette histoire de succession qui était un peu brumeuse.
Maintenant ça y est. Je passerai tout le reste de ma vie à remercier les gens, parce que j’ai eu beaucoup d’attentions.
Je peux bien sûr avoir un petit moment de blues, quand je lirai le journal par exemple. De quelle manière je le regarderai ? Et bien je découvrirai, même si j’espère le lire d’une manière détachée.

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