Pollution de l’eau potable : point sur la situation
Suite à la publication, dans notre précédente édition, du communiqué de presse de la préfecture, élaboré en collaboration avec l'ARS, la DREAL, la Ville de Rumilly et la Communauté de Communes Rumilly Terre de Savoie, concernant la présence de composés perfluorés (PFAS) dans l’eau potable de la ville, il semble important de faire un point sur la situation, une semaine après ces révélations. L’eau est-elle toujours contaminée ? Quels sont les risques à court, moyen et long termes ? D’où vient cette pollution ? Depuis quand est-elle présente ? Quand les autorités en ont-elles été informées ? Quelles mesures ont été prises ? - sont tout autant de questions que se pose la population, en attente de réponses à la fois claires et transparentes.
La préfecture, l’Agence Régionale de la Santé (ARS), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) le maire de Rumilly également président de la Communauté de communes Rumilly Terre de Savoie (CCRTS), apportent quelques éclairages, propres à chacune de leurs compétences.
Deux captages du réseau d’eau potable contaminés
Pour rappeler le contexte, les services de l’Etat ont engagé au printemps 2022, une action régionale visant à identifier les zones potentiellement concernées par la présence de substances perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS). Suite aux prélèvements effectués par l’ARS, fin août 2022, des teneurs significatives en PFOA (acide perfluorooctanoïque) ont été découvertes dans deux captages destinés à la consommation humaine (puits de Madrid et source de Broise) et à deux points de distribution au robinet (mairie et bâtiment de la Saur avenue de l’Aracalod). Le PFOA est un composé PFAS surveillé au niveau européen et interdit d’utilisation depuis 2020. Ces teneurs étaient 1,5 fois supérieures à la valeur sanitaire maximale de référence qui est de 75 nanogrammes par litre. Le PFOA est un des 40000 composés perfluorés les plus connus avec le PFOS (sulfonate de perfluorooctane), principalement pour leur persistance dans l’environnement et tous deux font l’objet de règlementations particulières pour leurs risques potentiels sur la santé.
Une cellule de crise ouverte en octobre
Les résultats de l’ARS, tombés officiellement le 17 octobre, ont poussé les différents acteurs, partenaires et responsables de la santé publique à se mobiliser en urgence. Services de l’Etat, collectivités et gestionnaire du réseau ont donc ouvert une cellule de crise et se sont coordonnés pour élaborer des solutions permettant de diminuer cette concentration élevée de PFAS. Le 14 novembre, les deux captages du réseau d’eau potable contaminés à Rumilly ont été déconnectés et raccordés au réseau du Grand Annecy dont l’eau répond aux préconisations sanitaires actuelles et à celles attendues à l’horizon 2026. Parmi les deux mesures de gestion pérenne immédiatement étudiées, à savoir traiter l’eau ou la diluer, le choix du traitement a été retenu et des vérifications techniques sont en cours, «avec l’objectif de déterminer un plan d’actions concrètes d’ici la fin de l’année» précise la préfecture.
Risques potentiels pour la santé
«La surveillance de ces molécules n'était pas jusque-là intégrée au contrôle sanitaire réglementaire, c'est la raison pour laquelle nous n'avions pu détecter leur présence» explique l’ARS. Les risques potentiels pour la santé semblent concerner la consommation de l’eau pour la boisson et la préparation des aliments mais les PFAS sont-ils présents ailleurs ? Ces composés chimiques peuvent en effet être présents dans tous les milieux environnementaux : l’eau, mais aussi l’air, les sols et la chaîne alimentaire. Considérant les récentes avancées scientifiques et techniques, les autorités publiques nationales et internationales s'intéressent de plus en plus à ces polluants dits «éternels» considérés comme des polluants émergents devant faire l'objet d'une surveillance renforcée. Les PFAS peuvent effectivement présenter, comme beaucoup de substances chimiques même simples, un risque pour la santé. Il s'agit généralement de risques chroniques, c'est-à-dire liés à une exposition répétée et à long terme.
La toxicité de ces composés chimiques est multiple : ils peuvent provoquer, selon le niveau et la durée d'exposition, une augmentation du taux de cholestérol, peuvent entraîner des cancers, causer des effets sur la fertilité et le développement du foetus. Ils sont également suspectés d'interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire. Cet effet des PFAS sur le système immunitaire a récemment été mis en exergue par l’European Food Safety Authority (EFSA) qui considère que la diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination constitue l'effet le plus critique pour la santé humaine.
Les avancées scientifiques, et notamment les données toxicologiques, ont incité les autorités, principalement européennes, à oeuvrer pour réglementer, voire interdire ces composés.
Composés chimiques utilisés depuis les années 1950
Les PFAS sont utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, résistantes aux fortes chaleurs et imperméabilisantes. Ils sont présents dans des applications industrielles et dans des produits de consommation : textiles, emballages alimentaires, poêles, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs, etc. Ces composés chimiques se dégradent très peu, c’est pourquoi il est possible d’en retrouver traces dans l’environnement, y compris des substances qui ont été interdites depuis plusieurs années.
Les services de l'Etat sont pleinement mobilisés dans leurs différentes compétences (notamment santé, eau potable, alimentation, relation avec les industriels). Ils se sont réunis le 18 novembre autour du préfet de région et du préfet de la Haute- Savoie pour partager précisément la situation et coordonner leurs actions.
3 sources de pollution potentielles identifiées
La DREAL a recherché les sources potentielles de cette pollution. Elles sont probablement multiples et en partie historiques (le composé PFOA en particulier n’est plus utilisé par les entreprises aujourd’hui mais peut rester présent longtemps dans l’environnement).
À ce stade des investigations, trois sources potentielles sont identifiées :
-Le site industriel de Tefal : en fonctionnement – des PFAS sont utilisés
actuellement et retrouvés dans les rejets mais le PFOA n’est plus utilisé depuis
2012.
- L’ancienne usine de fabrication de skis de la société Salomon : site qui a utilisé des
PFAS dans le passé, à l’arrêt depuis 2009.
-L’ancienne tannerie Fortier Beaulieu : site qui a probablement utilisé des PFAS, en cours de reconversion en programme immobilier.
L'inspection des installations classées de la DREAL a demandé à ces trois entreprises de réaliser des études et prélèvements. Le préfet de la Haute-Savoie pourra par la suite, si des sources concentrées de pollution s'avèrent confirmées, prescrire des plans de gestion.
3 maisons ravitaillées en bouteilles d'eau
En parallèle des analyse effectués par l’ARS, l’usine Cereal Partners France (CPF) a missionné de son côté, en septembre dernier, un laboratoire privé pour analyser l'eau de ses trois captages qui alimentent également sept maisons situées aux abords. Dès connaissance des résultats, ceux-ci ont été communiqués aux autorités et compte tenu des valeurs observées (très supérieures à celles mesurées sur les captages publics), l'entreprise a décidé, en accord avec les services de l'Etat et la CCRTS, de déconnecter ces ouvrages et d'alimenter son site par le réseau public d'eau potable dès le 30 septembre. Des analyses complémentaires n’ont pas décelé de présence de ces substances dans les céréales produites. Trois des sept maisons en attente de raccordement (des travaux sont en cours) sont ravitaillées en eau embouteillées par CPF et par la Ville.