Quels «remèdes» pour faire face à la pénurie de généralistes sur Rumilly ?

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Le 8 décembre dernier, Emmanuel Macron déclarait au micro de France Bleu Pays d’Auvergne que «la pénurie de médecins est un des problèmes les plus importants du pays aujourd’hui».

Selon une étude publiée par la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), le nombre de médecins devrait diminuer jusqu’en 2024 et la problématique actuelle de pénurie devrait durer jusqu’en 2030. La fin du numerus clausus, qui a laissé place au numerus apertus, a permis une hausse de 20% des étudiants en médecine en 2021, néanmoins, les conséquences positives de cette augmentation ne seront constatées qu’à l’issue de leurs études. Quelles solutions sont ainsi envisagées à l’échelle des territoires pour combler la période intermédiaire des 8 prochaines années? Quelle est la situation en Haute-Savoie et plus particulièrement sur le canton de Rumilly ?

De moins en moins de médecins et de plus en plus de besoins

Les jeunes diplômés sont de moins en moins motivés à s’installer en libéral et de nombreux départs en retraite ne sont pour la plupart pas remplacés. Actuellement, la moyenne d’âge des généralistes en France est de 51 ans : 47 ans pour les femmes et 59 ans pour les hommes. Sur le canton de Rumilly, où la population ne cesse d’augmenter, 3 médecins généralistes vont partir à la retraite cette année : 2 à Rumilly et 1 à Saint-Félix. 2 d’entre eux devraient a priori être remplacés, en totalité ou en partie. Quant au 3e, son départ va laisser 1500 à 1800 patients sans médecin. «Aujourd’hui, le territoire compte 20 médecins pour environ 33 000 habitants. A court et moyen termes, il faudrait au moins 2 ou 3 médecins supplémentaires et à plus long terme, pour pouvoir garantir les 5 à 10 ans à venir, il en faudrait 4 à 6. «On peut se qualifier non pas de désert médical au sens premier du terme car on a des infirmières, des spécialistes,  un hôpital, des urgences non programmées mais sur la spécificité des généralistes, on entre progressivement dans un désert médical» indique Christian Heison, président de la Communauté de communes Rumilly Terre de Savoie et maire de Rumilly.

Au-delà de l’accroissement de la population, la mise en place dans les années 70 du numerus clausus et l’arrivée progressive de nouvelles générations aspirant à travailler moins que leurs aînés pour vivre mieux, ont engendré ce déficit progressif, comme l’explique le docteur René-Pierre Labarrière, président de l’Ordre des Médecins de Haute-Savoie : «A l’époque où j’ai commencé, dans les années 70, on formait environ 7500 médecins par an. Dans les années 80, on a commencé à diminuer ce chiffre de moitié et ces générations antérieures sont celles qui aujourd’hui partent à la retraite. Et l’on constate un changement de philosophie des jeunes médecins qui veulent pouvoir concilier vie professionnelle et vie de famille». Aujourd’hui, au vu de la diminution du temps de travail et par conséquent du nombre de patients, pour remplacer un départ en retraite, il faudrait l’équivalent de deux médecins.

Toujours selon le docteur René-Pierre Labarrière,  l’offre de soins diminue et dans le même temps, une augmentation de la demande est constatée, «à la fois par le vieillissement de la population, le besoin de prise en charge des malades atteints de pathologies lourdes qui grâce aux nouveaux traitements vivent eux aussi plus longtemps, la sophistication des méthodes qui demande du temps médical plus important et le besoin des gens de comprendre des consultations globalement plus longues».

Pour pallier cette problématique de pénurie sur le territoire de Rumilly Terre de Savoie, l’ancienne municipalité avait voté la création d’une maison de santé. La prise en charge globale du projet et la propriété des murs du futur bâtiment ont ainsi été confiées à la société O Santé, spécialisée dans l’implantation et le pilotage de structures de soins primaires et d’organisations territoriales de santé.

A quand la maison de santé ?

Confronté au phénomène des déserts médicaux, l’Etat a développé, avec les collectivités, la création de maisons de santé afin d’inciter les jeunes professionnels à venir s’y installer. L’idée étant  de leur permettre de mutualiser certains services, d’être délestés de contraintes comme les tâches administratives en leur payant un(e) secrétaire médical et de proposer des possibilités d’emploi pour leurs conjoint(e)s en s’assurant également que les enfants pourront être inscrits dans les écoles.

«Les jeunes professionnels avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger veulent faire de la médecine, pas de la comptabilité, et souhaitent travailler en groupe, pour pouvoir bénéficier d’un autre avis médical, donc l’idée d’un cabinet commun semble être une solution adaptée» assure Christian Heison.

Depuis que l’ancienne municipalité lui a confié le dossier, il y a 2 ans, O Santé travaille sur l’accrochage de généralistes. Un permis de construire a été signé fin 2020, dans le bâtiment de l’ancien cinéma, et Christian Heison précise que «les conditions de vente sont liées à l’activité «santé». Notre contrat consistant à une obligation de résultats, les travaux seront lancés quand nous aurons la certitude que des médecins voudront s’y installer».

Tiphanie Perre, co-fondatrice et directrice générale de O Santé (devenue Stane en septembre 2021) informe que deux jeunes femmes médecins généralistes sont intéressées mais souhaitent exercer en tant que salariées. «Nous avançons avec elles pour permettre la faisabilité de leurs vœux et co-construire ce modèle «salarié». Depuis l’Ordonnance de mai 2021, les MSP (maisons de santé pluridisciplinaires) peuvent salarier plusieurs professionnels. Nous étudions différentes pistes,  et si nous restons dans le bon timing à la fois juridique et organisationnel, la fin des travaux aurait lieu en juin 2023»

En plus de ces deux médecins généralistes, quelques spécialistes semblent intéressés par une installation dans cette future structure : un ophtalmologiste, positionné sur le projet depuis le début et des discussions sont en cours avec des cardiologues et infirmières. L’objectif de O santé est d’ouvrir l’établissement avec 4 médecins généralistes.

Des solutions «remèdes»

En parallèle du projet de maison de santé, plusieurs solutions semblent se dessiner pour le territoire.

Le président de la Communauté de communes et l’ensemble des élus sont mobilisés depuis l’été dernier pour réfléchir à des solutions concrètes : ils ont récemment adressé un courrier au directeur de l’ARS (Agence Régionale de Santé) pour demander la signature d’un Contrat Local de santé (CLS) afin de pouvoir mettre en place des actions d’aide particulières, comme  l’aide à l’installation et à l’aménagement de locaux.

Concernant les urgences, le centre hospitalier propose les consultations  non programmées, avec des horaires assez larges.  Le service «SOS Médecins» paraissait être une bonne alternative, mais « il est réservé aux centres urbains majeurs comme Annecy ou encore Chambéry, les médecins ne se déplacent pas dans les zones rurales ou peu urbanisées, nous avons donc abandonné cette piste » informe Christian Heison.

Une expérience nouvelle, a vu le jour en décembre dernier dans une pharmacie de Rumilly: la téléconsultation médicale. Ce service est une des mesures phares de la loi Ma Santé 2022 et permet aux personnes privées de médecin traitant d’obtenir un rendez-vous en moins de 10 minutes avec un généraliste en vidéo-consultation dans un espace de confidentialité. Le pharmacien accompagne le médecin dans la réalisation de l’examen clinique et le patient dans la compréhension de sa prise en charge. «D’après ce pharmacien, les démarrages sont plutôt encourageants. Les médecins ne sont pas tous d’accord sur le sujet, certains disent que c’est de la médecine à bas coût, mais derrière l’écran on a tout de même un vrai professionnel» affirme Christian Heison.

Dans la même lignée des nouvelles technologies, des CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) se développent de plus en plus. Cela pourrait s’apparenter à des maisons de santé pluridisciplinaires virtuelles regroupant des médecins et spécialistes via des plateformes. Ils collaborent mais ne sont pas physiquement dans un même local. «Nous avons mis en place une CPTS avec le Grand Annecy, la plus grande de la région.  Ce nouveau mode d’organisation permet de soulager la charge de travail sans dégrader la qualité de soins» informe le président de l’Ordre des Médecins du département.

Vers une embauche des médecins par les mairies ?

Depuis quelques années, certaines mairies embauchent des médecins avec des salaires intéressants pour les attirer sur leur territoire.  8000 euros bruts pour 35h proposés dans une commune de la Sarthe ou encore 5200 euros nets pour 6 médecins dans une commune près d’Angoulême. Selon le maire de Rumilly, «cela dépasse l’entendement. C’est un peu le marché aux généralistes, à savoir : qui va donner le plus ? C’est un fonctionnement qui bouscule nos habitudes et la vision respectable de la profession».

D’après le président de l’Ordre des Médecins de Haute-Savoie,  «les mairies doivent être facilitatrices pour aider les nouveaux médecins à s’installer mais ce n’est pas leur rôle de les salarier». Concernant l’attractivité du territoire, il ajoute que le département n’est pas le plus sinistré : «La Haute-Savoie est attractive pour la population y compris pour les médecins, mais pas suffisamment par rapport à l’augmentation de la démographie. Certaine zones sont plus fragiles que d’autres, comme Rumilly, et nous ne pouvons que remercier les médecins en âge de la retraite qui continuent d’accompagner leurs patients».

En attendant le retour à la normale prévu à l’horizon 2030, l’Etat, les collectivités, les médecins et les patients, au-delà de leurs fonctionnements et points de vue parfois divergents, semblent unis dans un même élan : trouver le remède miracle pour le bien-être de tous.

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