Rémi Masson, comme un poisson dans l’eau
Afin de mieux connaitre Rémi Masson, voici son interview réalisée par notre confrère La Voix de l’Ain. Certainement cela vous donnera plus l’envie de découvrir ce Haut-Savoyard, qui animera une conférence et dont vous pourrez découvrir son travail, vendredi à 20H. «Rémi Masson a plongé pour la première fois sa tête sous les eaux du lac d’Annecy, en Haute-Savoie. Ce n’était alors qu’un gamin, mais de cette expérience d’apnée, il a gardé une profonde addiction. Une bonne addiction… Sa fascination pour les profondeurs des eaux des lacs et rivières de montagne, il l’a partagé depuis, avec le plus grand nombre, à travers ses photos et ses films documentaires. Géo, Terre Sauvage, Photo, Arte, la BBC… À 32 ans, il est devenu une véritable référence ! Bonze Report l’a rencontré en Isère, où il vit aujourd’hui avec sa famille et travaille comme professeur de biologie.
Rémi, tu es apnéiste et plongeur subaquatique. L’eau, c’est ton élément. Mais comment t’es tombé dedans ?
J’ai commencé à plonger dans le lac d’Annecy quand j’étais gamin. Après, à l’adolescence, j’ai élargi mes sorties à des milieux plus isolés : torrents de montagne, lacs alpins. Je m’intéresse à tous les milieux sauvages…
D’où te vient cette attirance ?
Mon père a comme passion la spéléologie. Il voulait être plongeur spéléo, mais après une bonne frayeur en plongée, il a laissé tomber cette pratique pour se concentrer sur la spéléo. C’est certainement de là que me vient mon envie de découvrir des endroits inconnus, d’explorer. À la différence près que j’ai choisi le milieu aquatique. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe sous l’eau.
Pourquoi l’apnée ?
Ce qui me plaît dans l’apnée, c’est le côté simple et accessible. Si bien que je ne me suis jamais posé la question de rajouter des bouteilles. Sûrement parce que je n’ai jamais eu le besoin de rester plus longtemps sous l’eau. Allez peut-être une fois… Je me suis posé la question pour faire un sujet sur les ombles chevaliers qui vont très profond dans les lacs.
Tu suis un entraînement spécifique : yoga, exercices de respiration ?
Je n’ai pas suivi de formation particulière. À mon époque, il n’y avait pas de clubs de plongée en apnée. J’ai donc fait mon apprentissage seul. J’ai acheté un ou deux bouquins pour faire des exercices de respiration et quelques entraînements dans ma baignoire. Pas plus !
Mais j’ai une base sportive (vélo, course à pied, plongée, montagne…). Je pense que j’aurais pu être meilleur si j’avais adhéré à un club et m’étais entraîné, mais ce n’était pas mon objectif. Je ne voulais pas être champion du monde d’apnée. Pour moi, c’est juste un moyen d’approcher des choses sous l’eau.
Aujourd’hui, je m’entraîne peu. Sauf quand je prépare des plongées plus engagées, comme des entrées de siphon, sous les grottes.
Tu peux rester combien de temps sous l’eau ?
Mon record, c’est 5m30. Mais deux à trois minutes me suffisent pour faire des photos ou vidéos. En fait, c’est depuis que je fais de la vidéo que je sais combien de temps je reste. Avant, je ne le savais pas… Je ne mesurais jamais.
Et ta passion pour la photo… Elle est née en même temps que ton attirance pour l’apnée ?
J’ai commencé la photo en subaquatique et c’est, aujourd’hui encore, le gros de mes photos. Finalement, je n’ai fait des photos de paysages extérieurs que bien plus tard.
Ma première photo, c’était des brochets, avec un appareil jetable acheté dans un centre commercial. J’ai ensuite investi dans un appareil argentique étanche que j’ai dû garder un an. Je faisais 40 à 50 pellicules dans l’année.
Aujourd’hui, je travaille principalement avec un réflexe pro canon Mark II que j’utilise avec un grand-angle 15 mm fisheye. Dans l’eau, pour avoir le plus de netteté possible, il faut être au plus près du sujet. Si c’est petit, il faut être en macro. Et à l’inverse quelque chose de gros et grand nécessite de cadrer large.
Combien pour s’équiper et commencer la photo subaquatique ?
Avec un compact plus un caisson étanche, on peut s’en sortir pour 600 euros. Si on passe sur du reflex, on multiplie les budgets, car les caissons sont très chers. Il faut compter 5 000 à 6 000 euros.
Pour ceux qui souhaitent débuter et obtenir un résultat correct, je conseillerai de prendre un canon de la gamme expert, comme les G16 ou G7. Ils ont des caissons pas trop chers, environ 200 à 300 euros.
Tu plonges principalement en eau douce. Pourquoi ce choix ?
Pour moi la mer, c’est les vacances. Ce qui me plaît quand je plonge, ce sont les eaux pas très claires, le côté mystérieux. J’aime découvrir des endroits vierges… Je suis prêt à faire 1 000 mètres de dénivelé pour aller plonger dans un lac de montagne, ça ne me dérange pas. Quand ils sont assez profonds et pas trop mal exposés, on y trouve du poisson ou des batraciens, comme des grenouilles rouges, du triton alpestre… Sinon, ce sont des endroits plutôt minéraux. Mais le décor, l’ambiance… Ce côté lunaire me plaît autant. À partir du moment où je plonge la tête sous l’eau, je prends du plaisir.
Quelle est la meilleure période pour plonger dans les lacs alpins ?
La meilleure période, c’est l’automne. Il reste de la végétation et l’eau redevient claire, car il y a moins d’activité. L’hiver, c’est très clair aussi, mais ça manque de lumière. En revanche, l’été c’est la période pendant laquelle je plonge le moins.
Tu plonges dans les lacs, les rivières… Et dans le Rhône. C’est étonnant le Rhône. Qu’est-ce qu’il y a de beau dans ce fleuve ?
Au début, j’étais vraiment axé sur les grands lacs alpins. Et ma femme a trouvé du travail vers Lyon. Je l’ai suivi et là, je me suis intéressé au fleuve Rhône. J’ai fait mes premières plongées et ai commencé à observer les silures. C’est le poisson emblématique du fleuve. Sous l’eau, il est très gracieux, souple et dégage une véritable puissance.
Le silure… Ce n’est pas un poisson qui provoque spontanément la sympathie ?
Pourtant, c’est un poisson très sympa ! La plupart des poissons sont indifférents ou craintifs. Le silure est lui, très curieux. Quand on plonge et qu’on s’immobilise, s’il passe près de vous, il vient au contact. C’est très rare en photo animalière quand l’animal vient vous voir. Avec le silure, plus gros poisson d’eau douce, il y a une rencontre. Le poisson peut faire plus de deux mètres, c’est impressionnant !
Justement, vous ne vous êtes jamais sentis agressé ?
Je ne me suis jamais senti en danger dans l’eau douce. Même si l’eau est trouble, je n’ai aucune crainte. Mais les plongeurs de mer ne sont généralement pas rassurés dans les lacs ou les cours d’eau de ce type. Ils sentent plus oppressés. Moi c’est l’inverse.
Revenons au Silure, parce que vous avez fait une découverte assez incroyable je crois…
Je suis effectivement tombé sur des rassemblements de silures. Pour l’instant, on n’a pas encore totalement éclairci ce phénomène. Avec un chercheur de l’université de Toulouse, spécialiste du silure, on a essayé de comprendre pourquoi ils se rassemblaient. Ils le font toute l’année, souvent dans des endroits profonds que l’on appelle des fosses. Les pêcheurs avaient constaté de gros rassemblements en hiver, sur leur sondeur. Mais en plongeant au milieu de ce rassemblement, on se rend compte qu’ils sont en mouvement, qu’ils circulent, qu’ils s’enroulent les uns autour des autres. Ça ne correspond donc pas à un phénomène de reproduction. Ce n’est pas pour chasser non plus. Ni pour se protéger des prédateurs, c’est le plus gros des poissons. Ça ne ressemble donc à rien…
On retient aujourd’hui l’hypothèse d’un rôle social. Ils se frotteraient les uns aux autres pour maintenir un contact entre eux. Mais après, pour le démontrer scientifiquement, c’est moins facile. Reste que l’on a appris de cette espèce que c’est un poisson social et grégaire.
Vous plongez depuis longtemps. Constatez-vous une dégradation du milieu naturel ?
Il y a des dégradations ponctuelles, notamment sur les petites rivières où des espèces sensibles comme les écrevisses à pattes blanches ont disparu.
Dans le Rhône, j’ai constaté beaucoup de diversité et assez de peu de déchets civils finalement. C’est donc une bonne surprise. Mais il y a aussi des pollutions invisibles, comme les PCB…
Paradoxalement, là où je suis le plus inquiet, c’est sur les grands lacs alpins. C’est là où j’ai vu le plus de changement, notamment sur la végétation, les herbiers, les massifs de nénuphars. Il y a pas mal de pertes… Les aménagements des rives y contribuent fortement, car il coupe la lumière. Or, les petits massifs de nénuphars, les herbiers, ce sont les poumons des lacs… Ils servent à l’habitat et c’est aussi un formidable garde-manger.
Par ailleurs, l’activité nautique laboure beaucoup les fonds. L’eau est brassée et le soleil pénètre moins sous l’eau.
Quel est le lac le plus touché ?
Je dirai que c’est le lac d’Annecy. Et j’ai d’autant plus de mal à le dire que c’est mon lac de coeur.
Quel l’endroit que tu préfères ?
Mon coin préféré reste le lac d’Annecy, pour ce qui est des grands lacs. Après, je suis attaché à des espèces plus qu’à un milieu, comme le castor ou le silure.
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Un exemple des superbes photographies de Rémi Masson. (DR)