«Rendre hommage à un pompier oublié est un devoir»
Il y a un peu plus d’un mois, le Capitaine Manoah Le Bret, chef du centre de secours des sapeurs-pompiers de Rumilly, venait dans nos locaux pour consulter les archives du journal, avec une date bien précise, celles de l’année 1940. A l’époque, il s’appelait le Journal du Commerce. Voici pourquoi.
Capitaine Le Bret, pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert l’histoire de Jean-Marie Chal, ce pompier de Rumilly mort en service en 1940 ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions à la tête du centre de secours de Rumilly, en juillet 2023, je ne connaissais pas l’existence de Jean-Marie Chal. Comme la plupart des centres de secours, nous avons une stèle destinée à honorer les pompiers morts en service. Cependant, notre stèle était vierge de tout nom, ce qui est, en soi, une bonne nouvelle.
Personne ne m’avait signalé qu’un pompier de Rumilly avait un jour perdu la vie en intervention. Puis, en septembre 2024, en consultant des documents historiques stockés sur notre serveur, je suis tombé sur un fichier intitulé Historique du centre de secours. Ce document retraçait les grandes étapes de l’évolution de notre caserne, et l’une des lignes mentionnait qu’en 1940, un véhicule détruit dans un incendie avait été remplacé et qu'un accident lors cet incendie, un pompier Jean-Marie Chal, avait perdu la vie. Cette information m’a immédiatement interpellé : si un pompier était mort en service, pourquoi son nom n’apparaissait-il pas sur notre stèle ? C’était incompréhensible. Je me suis senti investi d’une mission : rétablir la mémoire de ce pompier oublié.
Par où avez-vous commencé vos recherches ?
Ma première étape a été de vérifier les informations contenues dans ce document historique. Le texte mentionnait que Jean-Marie Chal était mort en 1940, à l’âge de 42 ans, et qu’il était né à Sales. J’ai donc contacté les archives municipales de Sales pour obtenir son acte de naissance. Mais, à ma grande surprise, il n’y avait aucune trace de lui.
Nous avons élargi nos recherches en examinant les registres de naissance des années précédentes et suivantes, mais toujours rien. J’ai alors décidé de changer de méthode et de consulter les registres de décès de la ville de Rumilly pour 1940. C’est là que j’ai trouvé son acte de décès. Cette pièce essentielle m’a permis de confirmer qu’il était mort le 24 janvier 1940, mais j’ai aussi découvert qu’il était en réalité né en 1893, et non en 1898 comme l’indiquait le document initial. Avec cette information corrigée, j’ai recontacté les archives de Sales, et cette fois, elles ont pu me fournir son acte de naissance. Pour compléter le dossier, j’ai également récupéré son acte de mariage. Cela m’a permis d’en apprendre davantage sur sa vie personnelle : il était marié à Marie Ludovic Chal et père de deux enfants.
Vous avez donc établi son identité, mais qu’en est-il des circonstances de son décès ?
L’acte de décès précisait la date, mais pas les détails des circonstances. Je savais que Jean-Marie Chal était mort en service, lors d’un incendie important. J’ai donc cherché des informations dans la presse de l’époque. On m’a conseillé de consulter Le Journal du Commerce, le journal local qui existait déjà en 1940, sous un autre nom.
J’ai pris contact avec Stéphane Ducret, responsable de ce journal, qui a été d’une aide précieuse. Ensemble, nous avons fouillé les archives de janvier 1940 et retrouvé un article décrivant l’incendie de l’école normale d’institutrices de Rumilly, survenu le 23 janvier. L’article racontait en détail l’ampleur du sinistre et les conditions extrêmes de l’intervention. C’est dans un article ultérieur que nous avons découvert les circonstances exactes du décès de Jean-Marie Chal : alors qu’il effectuait une mission de reconnaissance à l’intérieur du bâtiment, il a chuté dans un escalier fragilisé par l’incendie et recouvert de verglas, en raison des températures glaciales de -15 °C et de l’eau utilisée pour maîtriser les flammes. Cette chute lui a été fatale. Des témoins de l’époque, dont ses collègues présents sur place, ont décrit la scène avec beaucoup d’émotion.
Quelles autres informations avez-vous découvert grâce à vos recherches ?
J’ai voulu aller plus loin pour comprendre le contexte dans lequel Jean-Marie Chal a perdu la vie. Les archives départementales m’ont permis de consulter d’autres journaux de l’époque, ainsi que des photos du bâtiment incendié, avant et après le sinistre. Il s’agissait de l’école normale d’institutrices, un bâtiment imposant qui jouait un rôle important dans la vie de Rumilly. Les clichés montrent l’ampleur des dégâts causés par l’incendie.
J’ai également découvert des articles postérieurs au drame, notamment ceux relatant les funérailles de Jean-Marie Chal. Le maire de l’époque avait prononcé un éloge funèbre particulièrement émouvant, saluant le courage et le dévouement de cet homme qui avait donné sa vie pour protéger les autres. Ces documents ont été d’une grande aide pour reconstituer l’histoire dans ses moindres détails.
Une fois ces informations réunies, comment avez-vous organisé la reconnaissance officielle de Jean-Marie Chal ?
J’ai rédigé un dossier complet, que j’ai adressé à ma hiérarchie ainsi qu’à la mairie de Rumilly. J’y relatais les faits, les circonstances de l’incendie, et l’injustice de l’oubli dont Jean-Marie Chal avait été victime. J’ai également sollicité un devis auprès d’un marbrier pour faire graver son nom sur notre stèle.
La mairie a immédiatement soutenu ce projet. Elle a validé l’idée. Le marbrier, quant à lui, a manifesté un profond respect pour la démarche et livré un travail de qualité dans un délai très court, et de plus, offre la gravure.
Une cérémonie est-elle prévue pour honorer sa mémoire ?
Oui, à l’occasion de la Sainte-Barbe, nous organiserons une cérémonie d’hommage. Nous commencerons par la lecture de l’article de presse de 1940 décrivant l’incendie, suivie de l’éloge funèbre du maire de l’époque. Nous déposerons ensuite une gerbe avant de dévoiler la stèle, où figure désormais le nom de Jean-Marie Chal.
Ce moment sera marqué par la présence des descendants de Jean-Marie Chal, que nous avons contactés et invités à assister à cet événement. Leur réponse positive et leur enthousiasme nous touchent profondément.
Quel impact cet hommage a-t-il pour vous et votre centre de secours ?
Ce projet a une résonance très forte. D’un côté, il s’agit de réparer une injustice : Jean-Marie Chal a donné sa vie pour protéger la population, et il est de notre devoir de préserver sa mémoire. De l’autre, cet hommage est aussi un rappel pour les générations actuelles et futures de pompiers. Il illustre la réalité de notre métier, ses dangers et ses sacrifices. Voir le nom de Jean-Marie Chal gravé sur notre stèle sera un symbole fort pour notre communauté. Cela nous rappellera que nous faisons partie d’une histoire, que nous sommes les héritiers de valeurs d’engagement et de courage.
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Jean-Marie et Marie-Ludovic CHAL. (DR)
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L'École Normale avant l'incendie. (©Le Journal du Commerce)
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L'École Normale après l'incendie. (©Le Journal du Commerce)