«Roc» le rocher de Malatret en suspens

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«Bonjour, je suis Roc, le rocher de Malatret. Vous savez, celui qui se trouve à flanc de colline dans la commune de Pugny-Chatenod. Là où il y avait encore il y a trois ans une splendide forêt avec des arbres presque centenaires. Dans cette colline, on y a construit des maisons à toits plats, la commune perdant à jamais son identité de village de montagne. 
 Et moi, je suis bien seul désormais sur un sol dénudé et sans ombre. Oh, ce n’est pas que je m’ennuie, la vue est dégagée vers le lac, je respire le vent et sous mes pieds je sens une source qui continue de s’animer. (Elle coule comme un ruisseau, on l’appelle l’eau vive… Courez, courez, vite si vous le pouvez,… Jamais, jamais, vous ne la rattraperez). J’aime tant la chanson de Guy Béart que je la fredonne souvent, non s’en ressentir quelques frémissements. Des gargouillis qui me donnent la chair de poule.  L’eau, effectivement on ne l’arrête jamais. Même si son écoulement est doux à entendre, il fragilise à la longue mon assise.
Ma situation m’inquiète, c’est vrai. Je pèse plusieurs dizaines de tonnes et on me laisse là, planté au bord du précipice. Ah, j’en ai vu passé des pelleteuses, l’une d’elle est même venue un jour de semaine me chatouiller les pieds dans la partie aval me foutant vraiment les pétoches car je suis à raz bord du vide désormais. Avec l’aide d’une grue, on a même essayé de me soulever, mais je n’ai pas bougé d’un pouce». 

«S’il vous plait, enlevez-moi de là»
«Plus bas, à 30 mètres, il y a la route refaite à neuf, trois habitations, un parking avec 4 à 5 voitures et surtout une citerne de gaz. Il y a de quoi s’inquiéter, non ! Si le remblai sur lequel je repose venait à s’effondrer par grosse pluie, qu’adviendra-t-il si je touche cette citerne ? Vraoum ! Plus de citerne, plus de voitures et vitres alentours et surtout plus de Roc. Je ne veux pas terminer simple caillasse. 
Roc je suis, Roc, je veux rester, entier et solide. S’il vous plait, enlevez-moi de là avant que je ne cause quelques dégâts. De temps en temps je regarde jouer des enfants sur le parking, insouciants du danger qui les guette. Je suis l’épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Oui, je m’inquiète car je demeure impuissant face à dame nature. 
 Des promeneurs contemplent souvent la colline et s’interrogent sur ce nouveau lotissement. Je n’entends pas ce qu’ils disent, mais ils ne sont pas sans me remarquer, moi «Roc», le rocher de Malatret. Je ne passe pas inaperçu, imposant, dominateur. Je semble même les narguer, ces visiteurs d’un jour. Leurs regards, leurs gestes en disent long cependant sur l’inquiétude qu’ils éprouvent à me voir dans un équilibre précaire. Aucune personne dite responsable ne semble pourtant se soucier du danger que je représente. Si je glisse ou roule dans la pente,  où vais-je m’arrêter ? Qui ou que vais-je démolir dans ma chute ? Qui sera responsable ? 
L’été est arrivé.  Ce n’est pas demain que la situation va changer. Alors je reste en suspens et je m’accroche autant que je peux à mon flanc de colline en espérant qu’un jour on ne me trouve pas, mais un peu tard, 30 mètres plus bas… et en mille morceaux, coupable bien involontaire d’une catastrophe». 

 

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