«Roc» le rocher de Malatret, saison 2

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Coucou, me revoilà, je suis «Roc» le rocher de Malatret. Cet été, je vous ai parlé de mes inquiétudes et de ma situation précaire à flanc de colline dans le nouveau lotissement de la commune. Caillou pour les uns, «Roc» pour les plus intimes, je ne peux qu’attirer l’attention à 30 mètres au dessus des têtes, esseulé dans une colline en attente d’un prochain chantier.
 L’espoir était mince en août et septembre que l’on se préoccupe de mon sort. J’avais complètement raison car rien n’a bougé. Plus de bruit de pelleteuses ou de gros engins de terrassement autour de moi pendant tout l’été. Quel pied ! Les rues du lotissement ont été tracées, le macadam coulé, les trottoirs posés et les nouveaux habitants enfin chez eux. Les gens se sont habitués à ma présence. Je fais partie du décor et bien malin qui osera m’en extirper. C’est pourtant mon souhait le plus cher à cause du mal que je pourrais occasionner dans ma chute. Mais en attendant, je suis toujours là. 
Je pourrais m’ennuyer comme un rat mort, mais ce n’est pas le cas. 
L’animation a changé et je ne m’en plains pas. Il y a de la vie et des rires en amont mais toujours de la crainte en aval. Mes voisins du dessous, je les connais par cœur. Pas un matin, pas un soir sans un coup d’œil dans ma direction. Mon assise ne s’est pas fragilisée pendant la nuit ou au cours de la journée par les pluies de septembre. Pas d’inquiétude, je n’ai pas bougé d’un centimètre et je m’accroche du mieux que je peux. Mais pour combien de temps encore ? 
Pas de fausses illusions
Sous mes pieds, à profondeur raisonnable, ça gargouille toujours autant. Les sources s’amusent et se gonflent. L’eau vive coure toujours et on ne l’arrête pas. Ainsi, la colline n’arrive pas à sécher ses larmes. Elle pleure à gros sanglots ses arbres centenaires arrachés. Ils avaient de multiples racines profondes qui s’abreuvaient dans les petits rus souterrains. La colline vivait en parfaite harmonie avec sa végétation. Elle arborait ses mille couleurs chaque automne. Pas cette année, et jamais plus d’ailleurs. 
Aujourd’hui, c’est une colline défigurée qui déverse ses larmes,  lesquelles viennent terminer leur écoulement sur la route. Ce suintement permanent est on ne peut plus révélateur d’un terrain spongieux.  Les énormes buses installées lors des travaux de terrassements et le ruisseau au débit incessant drainent une grande partie du flux mais pas tout. Je vous l’ai dit et redit, sous ma grosse carcasse, çà s’agite en permanence. Le côté rassurant c’est mon effet parapluie qui me permet de garder le cul encore au sec. J’ai encore une bonne marge de sécurité.
 Doit-on attendre cependant les premiers froids, les premiers flocons ? Un beau tapis neigeux ne serait pas pour me déplaire. Je me ferai un réel plaisir à descendre tout schuss. Je risque d’être l’invité surprise et plutôt brutal  au pied du sapin dans la maison d’en bas. 
On pourra alors reprocher au Père Noël d’être une ordure.  En effet, quel cadeau inattendu ! Un caillou sans valeur marchande et bien trop encombrant. 
Bien évidemment, je ne souhaite pas arriver à cet extrême. Mais les semaines passent et ma situation s’éternise. La construction de logements sociaux au pied de la colline de Malatret devait débuter au mois d’octobre. Je présume que l’on se serait alors occupé de mon sort. Mais octobre se termine sans avoir aperçu le moindre engin. Et puis surprise, tout arrive pour qui sait attendre. Une petite pelleteuse est venue mercredi dernier creuser un énorme trou dans mon dos. Avait-t-on idée de m’y enfouir à jamais ? Que nenni ! Renseignements pris auprès du conducteur d’engin, il n’était pas venu  pour tenter de me déplacer mais pour simplement creuser un trou que des camions allaient vite remblayer les jours suivants.
Des m3 de terre étaient à dégager d’un chantier situé un peu plus haut dans la colline. Ouf, ma fin n’était pas encore à l’ordre du jour. Sauf qu’un des camions s’est enlisé sur le remblai tout frais versé, secouant ma douce carcasse avec son patinage et ses soubresauts. Un soulagement alors quand un autre engin plus imposant a fini après moult tentatives par le tirer de son embarras.  Des frayeurs de ce genre, je m’en passerais bien car je commence à m’y plaire après tout dans mon environnement. Je suis même devenu quelqu’un. Un élu de la commune a même proposé, avec un esprit malin,  que je pouvais servir d’emblème pour le quartier. C’est flatteur quand même. Miroir, mon bon miroir, dis-moi, y-a t-il plus beau rocher dans la nature pugneraine ? On se déplacerait pour me voir  !  Je ne suis pas encore adepte de selfies, mais je pense que je peux m’y faire.
Pas de fausses illusions, on me prédit une fin douloureuse aux dires du conducteur d’engin. Il parle de me faire péter la tronche un jour ou l’autre. Mais sans doute pas avant le printemps. Encore heureux ! J’ai encore un peu de temps devant moi pour préserver mes abatis. Parti comme c’est parti, je vais essayer de passer l’hiver le mieux possible. Plus que jamais confiné au même endroit. C’est d’ailleurs de mode et dans l’air du temps le confinement, à la différence que moi,  je ne crains pas le Covid.  A bientôt donc dans la saison 3.  
Complètement dans mes pensées, je n’ai pas senti approcher un couple de promeneurs avec des enfants. A ma hauteur, la maman fredonnait la chanson de Matt Pokora : «Si t’es pas, pas, pas -si t’es pas, pas, pas - si t’es pas là». J’ai adoré ! Depuis ses paroles tournent en boucle dans ma tête. «Si t’es pas là». 
Eh bien si,  je suis là, et je demeure un danger quoi qu’on en pense.   

 

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