Thierry Decarre, ou le monde à moto
Se définissant lui-même comme un «motard aventurier», Thierry Decarre voyage à travers les continents depuis une douzaine d’années maintenant. Il a visité la Russie, suivi la Route de la Soie ou exploré les déserts africains sur sa moto et ne compte pas s’arrêter là. Il nous a rencontré pour nous faire part des aventures qu’il a pu vivre au travers de pays parfois cruellement considérés comme trop dangereux pour être visités.
À l’âge de quatorze ans, Thierry a reçu une mobylette de la part de son grand-père. L’été qui a suivi, il s’est lancé dans sa première aventure, parcourant le tour du lac Léman pendant un mois avec sa tente, son réchaud et quelques copains.
Il ne le savait pas encore à ce moment là, mais une trentaine d’années plus tard, en 2008 il allait passer son permis moto et verrait sa vie changer grâce à la moto. Alors qu’il vivait une vie somme toute normale, avec femme, enfants, maison rénovée et emploi à Tefal, il a décidé de partir faire un premier grand voyage jusqu’en Russie, en passant par les pays baltes, le tout sur une BMW F 650 GS achetée d’occasion.
L’hospitalité russe, mais pas que
Cette moto lui a permis de découvrir la solidarité russe, dont il garde un doux sentiment, grâce à des déboires mécaniques. Un jour il est tombé en panne au milieu de la forêt avec des chiens pour seule compagnie. Remarquant qu’ils n’étaient pas farouches, il se dit qu’il devait y avoir des habitations pas trop loin et décida de rester au bord de la route jusqu’à ce que quelqu’un arrive. C’est au bout de deux jours qu’une voiture est apparue. Le conducteur s’est à peine arrêté, faisant comprendre à Thierry qu’il était pressé. Et pourtant, le lendemain matin, il réapparu, expliquant qu’il irait chercher un camion avant de revenir sept heures plus tard puis rouler 150 kilomètres pour accompagner le motard jusqu’à un garage. En échange, il n’attendait rien, prêt à rendre service juste pour le principe. Cette hospitalité, c’est quelque chose qui a impressionné Thierry dans plusieurs de ses voyages. Un jour, suite à une panne d’alternateur en Iran, le mécanicien a refusé d’être payé. Pareil dans une boulangerie, le pain était donné, tout paiement étant refusé. La théorie de Thierry Decarre, c’est que les locaux estiment qu’un étranger est un invité et se doit d’être bien accueilli pour apprécier le pays. Il regrette d’ailleurs que ce ne soit pas un état d’esprit qui existe en France.
Du grenier à blé au Tigre Celtique
En 2012, il est parti faire un nouveau voyage, autour de la Mer Noire et avec une moto neuve cette fois, toujours chez BMW mais la F 800 GS. Même modèle, plus grosse cylindrée donc. Il y est attaché d’ailleurs, ayant parcouru 150 000 kilomètres sur la selle de l’engin. Ce tour a été l’objet de beaucoup de rencontres. D’abord, un français - qu’il revoit encore aujourd’hui - avec qui il a passé 15 jours dans le Caucase. Ensuite, à Odessa, en Ukraine, il a rencontré un groupe de motards. À chaque fois qu’il a voulu partir, ils le retenaient en trouvant un prétexte : un anniversaire, une fête, un autre anniversaire… C’est au bout de 18 jours qu’il a finalement repris la route.
Il mentionne aussi un voyage en Irlande. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, en cinq semaines il n’a eu que vingt minutes de pluie. Ce qui n’est pas de chance cependant, c’est qu’un fabricant de matériel de moto lui avait fourni des sacs étanches pour tester leur résistance à la pluie. Il a donc dû les mettre sous la douche pour faire l’expérience. Ce voyage dans l’île d’émeraude a été influencé par un précédent voyage en Bretagne, où l’aventurier a découvert les menhirs, dolmens et autres constructions mégalithiques. Il a donc décidé de faire «une chasse aux dolmens» à moto. Il a pu profiter de la maniabilité de l’engin pour le garer au bord des routes, planter sa tente et continuer à pieds afin de se détacher un peur de la moto.
Sur les traces de Marco Polo
En 2015, une autre aventure se profile : la Route de la Soie. Partant d’Orange, il est allé accompagné de quatre autres motards jusqu’en Mongolie en passant par l’Arménie, l’Iran, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Ils ont ainsi parcouru la M41, route qui relie la Chine à l’Asie Centrale, non goudronnée et longeant l’Afghanistan. Remontant jusqu’à l’Altaï, en Russie, il a constaté une ressemblance avec nos Alpes «mais en puissance dix», tout semblant démesurément grand. Il a donc pu retrouver «l’esprit russe» qui lui est si chère, et voir «des trucs un peu rock and roll» dont il ne s’épanchera pas de détails.
L’Afrique, continent des aventuriers
Dernier grand voyage, l’Afrique à l’été 2019. Quelques déconvenues ont fait qu’il est parti avec trois semaines d’avance sur les deux partenaires qu’il devait emmener, en profitant pour se balader dans le désert marocain. Il cite cette rencontre avec un gouverneur marocain, celui-ci lui donnant son numéro de téléphone personnel au cas où il aurait besoin d’aide à un moment ou un autre. Au bout de trois semaines, il est donc rejoint par ses amis et ils ont commencé une traversée de l’Afrique du Maroc au Sénégal. La traversée de la Mauritanie fut rapide, les motards ne voulant pas trop y trainer. Tous les quinze ou vingt kilomètres, des contrôles étaient effectués par la police. Mais «ils contrôlent en toute bienveillance qu’il ne nous arrive rien entre les checkpoints», s’avertissant entre eux au passage de quelqu’un afin qu’il soit attendu plus loin. Petite mésaventure, ils se sont retrouvés bloqués sur une piste pleine de boue. Secourus par un habitant local, il leur a proposé de les héberger pour la nuit plutôt qu’aller au poste de douane au milieu de la nuit. Sauf que les aventuriers du désert étaient attendus à la douane. Qui s’est inquiétée et a dû faire des recherches pour savoir s’ils étaient en sécurité. Évidemment, le lendemain matin, en arrivant au poste-frontière, un savon leur a été passé pour ne pas avoir prévenu de leur arrivée sains et saufs.
Au Sénégal, ses deux partenaires ont préféré rentrer en France par avion, emmenant leurs motos en fret aérien. Thierry a lui continué ses aventures. Allant jusqu’en Gambie, il a découvert les joies du bakchich avec un douanier qui ne le laisserait passer qu’en échange d’une somme dûment négociée, passant de 1 500$ à 30€. De retour au Sénégal, il s’est débrouillé pour rencontrer le roi autoproclamé de cette région séparatiste. Enfin, il est remonté tranquillement jusqu’en France, en se rendant compte qu’il était possible de partir de la France jusqu’au Sénégal en profitant d’infrastructures hôtelières de qualité ainsi que des routes et pistes plus que praticables.
Faire de sa passion son métier
L’idée lui a en effet germé de monter sa propre structure de voyages à moto suite à son licenciement au début de l’année 2019. Son but est de faire découvrir des «pays oubliés» aux curieux en quête d’aventure. Il a en effet une tendance à aller visiter les pays déconseillés comme l’Ukraine, l’Afghanistan ou le Mali. Il s’est rendu compte qu’en évitant les régions à risque, il n’y a pas de risque, les locaux étant bien au contraire ravis d’accueillir des touristes. Il considère même que c’est redonner confiance à ces pays qui ont connu des périodes sombres que de retourner les visiter. Il souhaite donc «emmener des gens dans des pays où ils auraient la crainte d’aller, leur expliquer et leur enlever toutes ces craintes qu'il y a dans certains pays.»