Un aixois prêt à en découdre aux championnats du monde à Doha

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C'est dans son jardin du Stade Forestier à Aix-les-Bains que Christophe Lemaitre, ainsi que son entraineur Thierry Tribondeau nous ont reçu. Avec eux, nous avons fait un bilan de la saison passé ainsi que de leurs objectifs pour les championnats du monde de Doha (27 septembre - 6 octobre 2019). C'est avec plaisir qu'ils se sont livré au jeu des questions-réponses, sans cacher les déceptions de l'année passée et les espoirs pour les échéances à venir. 
L'omniprésence du «on» est à noter. En effet, malgré que l'athlétisme soit un sport individuel par essence, le couple athlète-entraîneur est tel que c'est la réussite du binôme qui compte. 
Christophe Lemaitre
Comment vous sentez-vous à 15 jours des championnats ?
Je me sens bien, actuellement les entraînements se passent bien. Ça va de mieux en mieux, ça va de plus en plus vite. On est satisfaits des entrainements de sprint. On espère, enfin surtout moi j'espère que je retrouverai les mêmes sensations en compétition, surtout aux championnats du monde. Parce que c'est ce qu'il me manque actuellement, de retrouver les mêmes sensations aux compétition par rapport aux entraînements donc maintenant faut espérer que ça, je retrouve la même fluidité que j'ai aux entrainements.

Vous avez fait les minima pour les championnats du monde (20"40) fin août à Paris. Deux semaines après à Andujar, vous avez fait 20"79. Que s'est-il passé entre les deux courses ?
Justement c'est un peu bizarre. Comme j'ai dit, aux entrainements c'était super bien. Même à l'échauffement j'étais super bien et très aérien. Ce qu'il s'est passé à la compétition pour moi c'est un peu incompréhensible parce que il n'y avait rien qui laissait présager que j'allais faire un chrono comme ça. Pendant la course tout allait de travers, j'ai failli tomber plus d'une fois dans le virage. Je n'ai pas vraiment réussi à relancer comme il faut dans la ligne droite et j'étais déjà en cycle arrière dans les 60 derniers mètres. Donc ça n'a pas marché. Mais c'est bizarre parce qu'on ne sait pas trop comment et d'où ça sort. C'est le problème : je fais les choses bien à l'entrainement, je vais vite, je suis pluie. Mais en compétition je n'arrive pas à reproduire la même chose. C'est un peu le problème du moment.

Est-ce que vous pensez que c'est lié au mental ou c'est autre chose ?
Je ne pense pas que ça soit mental. Je pense que c'est surtout un manque de régularité.
Déjà, j'ai commencé la saison un peu tard et j'ai eu des blessures. Enfin, ce n'étaient pas vraiment des blessures, c'étaient vraiment des gênes qui m'ont incitées à la prudence. Donc on n'a pas pu faire le travail qui aurait dû normalement être fait. Je pense que c'est ça qui m'a manqué pendant toute cette saison. On essaie de rattraper le temps perdu en faisant de la vitesse pure, voire du travail lactique, ce qui fait que ça va mieux. Mais rattraper le temps perdu, c'est compliqué, surtout qu'il ne reste plus beaucoup de temps maintenant. 

En ce qui concerne les championnats du monde, quelles sont vos ambitions ? La victoire reste-t-elle l'objectif ultime ?
En effet, la victoire reste dans l'optique. Au début de la préparation, l'objectif c'était la médaille aux championnats du monde. Mais après mes performances, si je suis déjà en finale ce sera déjà bien. Mais d'après mon expérience, si je suis en finale ça voudra dire que la forme est revenue et que tout peut se passer. Pendant une finale, je suis capable de faire le chrono qu'il faut, la course qu'il faut pour aller chercher un podium. La concurrence va être rude mais elle est très homogène, mis à part Noah Lyles qui est loin devant. Si j'atteins la finale, la densité est telle qu'il faudra faire un cours un peu au-dessus du lot pour espérer monter sur le podium.

Qu'attendez-vous le plus entre le 200m et le 4x100m ?
Les deux. Le 200m est l'objectif individuel le plus important mais le relais a un beau potentiel. On a fait des chronos proches de 38 secondes avec des passages très perfectible, où on se rentre dedans. Si les passages sont bons, on peut faire des chronos sous 38 secondes, et ça veut presque dire podium.

Donc il y a possibilité pour le relais de ramener une médaille ?
Je pense qu'on peut. La médaille c'est totalement possible. Tout dépend de nous et de nos passages. Il faut faire en sorte que chacun se donne à fond dans sa partie de course. 

Certains athlètes ont été très forts en meetings, jusqu'au record du monde, mais n'ont jamais brillé dans les grands championnats. Vous, c'est exactement le contraire, vous êtes un homme de championnat. Avez-vous une explication ?
Les championnats, les grandes compétitions c'est quelque chose qui m'a toujours donné envie de courir. J'ai toujours ressenti de l'excitation. Quand je suis dans un grand championnat, j'ai une seule envie, c'est de courir, d'y participer, sortir de la chambre d'appel, être dans les blocs et y aller. Peut-être que c'est ça la différence, moi je ne subis pas la pression de l'enjeu. Même si je la sens, qu'elle est présente, elle ne me bloque pas. Au contraire elle m'aide vraiment à me dépasser  et à aller chercher les médailles, essayer de chercher une finale. Ça m'a toujours plus donné l'envie de courir et pas l'inverse. 

Il y a des années où les échéances sont beaucoup plus tôt dans la saison. Cette année les championnats du monde sont très tard, en septembre. La préparation était-elle différente cette saison à cause d'eux ?
La différence, c'est qu'il faut décaler le pic de forme. En général, les championnats sont fin août au plus tard et on a l'habitude de se préparer pour avoir le pic de forme à ce moment là. Ici, on a continué de travailler en mars, avril, voire même mai, pour commencer la saison à la fin du mois de juin, début juillet.  Le problème c'est qu'avec les blessures on a repris un peu plus tard, on va dire mi-juillet.
Est-ce que ça pourrait être une explication à ce début de saison un peu plus poussif ?
Je ne pense pas que ça soit le décalage qui ait fait que le début de saison a été un peu plus poussif. C'est plus dû au fait que la préparation a été tronquée par des pépins physique et qu'on n'a pas fait le travail qui aurait dû être fait au printemps. À ce moment, on aurait dû commencer à mettre les pointes et commencer à courir vite. Sauf qu'on a pas pu le faire, on était encore dans des sprints un peu longs, un peu anaérobies, un peu lactiques. Les petits pépins qui trainaient me restreignaient dans mes mouvements donc on n'a pas pu travailler la vitesse pure, ce qui a compliqué les choses. Il a fallu prendre encore plus de temps pour revenir, donc on a fait des compétitions d'un niveau un peu plus bas pour reprendre le rythme, pas les courses de Diamond League auxquelles je suis habitué. Reprendre un rythme soutenu, c'est ce qu'il m'avait manqué pendant tout la préparation. Donc maintenant, il faut retrouver la même régularité et la même fluidité en compétition qu'à l'entraînement.
Thierry Tribondeau
Actuel entraîneur de Christophe Lemaitre, il est intervenu à la demande de Pierre Carraz à partir de septembre 2012. Avec des records personnels de 10”49 au 100m et 20”87 au 200m, il a pu s’emparer de deux titres de champion de France. Sa carrière en athlétisme finie, il a participé à deux olympiades avec l’équipe de France de bobsleigh, atteignant même la finale aux Jeux Olympiques d’Albertville en 1992

Que pensez-vous de la manière dont Christophe s'est préparé pour les championnats du monde ?
Christophe, en résumé, s'est blessé l'année dernière le 30 juin à Paris, à la Diamond League. Il s'est blessé gravement  au muscle ischio-jambier droit, deux ischios sur trois. Il y a eu six semaines de réathlétisation, trois semaines de vacances et on a pris la décision de faire du travail de renforcement en gestes posturaux et des étirements, en sortant du cadre de l'athlétisme, en se spécialisant dans ce domaine. On a bien travaillé en septembre et octobre et, à partir de novembre 2018, on a attaqué la préparation pour Doha. Or il s'avère que Christophe n'avait pas couru pendant quatre mois puis quand on a repris l'entrainement il y a eu des petits bobos sur les mollets et on a mis deux mois pour s'en sortir, deux mois et demi même. Quand on a réussi à pouvoir enchainer les entrainements sans souci avec les mollets, on a commencé à courir un peu plus vite. Et quand tu cours vite, tu sollicites tes ischios. Comme ça faisait six, presque sept mois qu'il n'avait pas fait de sprint pur, il y a eu des tensions au niveau des ischios.

Et ça malgré le renforcement ?
Avec du renforcement bien entendu, on a jonglé, on a été vigilants, on a varié. Et plutôt que de prendre encore des risques de blessure, on a pris le temps, de mars à juin. Mais fin-juin il fallait quand même commencer à attaquer les compétitions. Ça commençait à aller un petit peu mieux, voire même bien. Et quand on a commencé les compétitions (22 juin à Saint-Etienne pour les championnats régionaux), les tensions sont revenues. Mais ça c'est parce que l'entraînement ne remplace pas la compétition. En plus lui ça faisait un an, quasiment jour pour jour, qu'il n'avait pas couru. Il avait envie, il s'est mis la pression tout seul, il avait envie de bien faire etc. Ça lui a fait de fortes tensions et on s'est aperçus qu'il fallait faire attention et qu'il fallait enchainer des compétitions tout en étant prudents. On a donc décidé de ne pas faire l'Athletissima (meeting Diamond League de Lausanne). On y est allés tranquillement et ça a été positif. Mais on va dire qu'il y a eu des hauts et des bas parce qu'avec ces tensions à l'entrainement, il n'a pas pu s'exprimer pleinement. Ça a fait qu'on n'a pas forcément pu voir quand ça allait bien ou pas. En arrivant aux championnats de France Elite fin juillet, il était épuisé. Pendant la compétition, on a décidé qu'il fallait qu'il se régénère et qu'il fallait calmer le jeu. Depuis il n'a plus mal du tout et on arrive enfin à travailler libérés depuis quelques semaines. C'est finalement au meeting Diamond League de Paris qu'on s'est retrouvés le couteau sous la gorge pour faire les temps requis pour les championnats du monde. Il les fait, c'est la trempe des grands champions. Rénelle Lamotte (athlète française spécialisée du 800m, 8 podiums aux championnats d'Europe) l'a fait aussi.  Elle a fini une demi-heure sur la civière mais voilà. Ils s'en sont sortis. Le chrono ne représentait pas vraiment et réellement son potentiel du moment on va dire, qui est plutôt en 20"25, 20"28. Ça c'était fin août. 

Comment expliquez-vous la contre-performance d'Andujar ?
Avant Andujar, on fait la meilleure séance des dix derniers mois, le mardi. Les deux jours suivants, on se repose parce qu'on voyage. Je ne sais pas s'il a assez récupéré, et je ne pense pas que le voyage l'en ait vraiment empêché, même s'il a duré quatre heures entre l'avion et la voiture. Mais en échangeant avec le médecin de l'équipe de France, ce dernier me dit que Christophe a maintenant 29 ans, plus 20 ans et qu'il faut donc faire plus attention. Ça peut donc être une raison. On peut dire que l'électroencéphalogramme était plat à Andujar. Ça nous a fait tout drôle, parce qu'on avait fait des bonnes séances juste avant donc on ne s'y attendait pas du tout. En rentrant à Aix, on a remis la main à la pâte et, pas plus tard que mardi, il a fait une séance encore meilleure, un cran au-dessus. 

Donc là son pic de forme est arrivé ?
Je pense. On en discutait avec Pierrot (Pierre Carraz, autre entraîneur de Christophe Lemaitre) et on n'est pas d'accord sur certains points. Comme il n'a pas été vite cette année, ou très rarement, et la récupération est beaucoup plus compliquée qu'avant, dès qu'il fait une ou deux séances rapides, il faut plus de récupération. Mais depuis une semaine, tout est dans l'ordre de marche : il fait réellement des séances dignes de ce nom, de plus en plus vite. Donc il faut être optimiste.

Est-ce que le fait d'avoir retardé le pic de forme, ça n'expliquerait pas un peu le début de saison un peu plus poussif ?
Bien sûr. D'habitude il fait sa rentrée une semaine avant les interclubs, qui se passent la première semaine de mai. Cette année, on a couru le 22 juin, ce qui est quasiment deux mois plus tard. Donc c'est une saison vraiment différente.

Matthias Héjja-Brichard

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