«Une situation sans précédent dans l’histoire du département»
Le 9 juin, la Haute-Savoie était placée en alerte sècheresse, face aux faibles précipitations et aux fortes chaleurs qui n’ont cessé de s’intensifier ces dernières semaines. Le 19 juillet, le département (hormis le secteur de l’Arve amont) passait en alerte renforcée. Au vu de l’aggravation de la situation, le bassin versant du Chéran devrait passer en crise, seuil d’alerte maximum.
La préfecture appelle les habitants à respecter les mesures de restrictions d’usage de l’eau, sur les secteurs des 8 bassins versants faisant l’objet d’un arrêté préfectoral. Les cours d’eau et l’humidité des sols sont à des niveaux critiques, en avance d’un à deux mois par rapport à la moyenne habituelle. Les débits des sources captées pour l’alimentation en eau potable sont de plus en plus faibles, notamment en tête des bassins versants, entraînant des difficultés d'approvisionnement sur plusieurs secteurs. Une conférence de presse était organisée par la préfecture le lundi 25 juillet, aux côtés des services de l’Etat, à Alby-sur-Chéran, au-dessus de la rivière asséchée.
«La situation caniculaire que nous traversons est extrêmement préoccupante au niveau des cours d’eau anormalement bas pour la saison. Il s’agit d’une situation sans précédent dans l’histoire du département» déclare Thomas Fauconnier, secrétaire général de la préfecture, ajoutant que la sècheresse a un effet déstabilisant sur l’ensemble de nos écosystèmes et sur l’écosystème de la montagne», faisant référence au bassin de l’Arve amont, situé à proximité du Massif du Mont-Blanc, le seul secteur dont le débit des cours d’eau est encore suffisant car ils sont alimentés par la fonte des glaces de plus en plus importante et alarmante.
Le 16 mai 2022, un arrêté-cadre préfectoral a été pris par la Direction Départementale des Territoires (DDT), service eau et environnement (cellule gestion de crise de la ressource en eau), afin de règlementer la gestion et la préservation de la ressource en eau en période de sècheresse. Cet arrêté-cadre fixe le cadre des mesures et permet une meilleure lisibilité des niveaux d’alerte définis selon le débit des cours d’eau (vigilance, alerte, alerte renforcée, crise). Il a été élaboré avec l’ensemble des parties prenantes de tous les usages de l’eau et de leur surveillance en Haute-Savoie, rassemblées dans une même instance : le comité ressource en eau (services de l’Etat, collectivités en charge de l’alimentation en eau potable, délégataires de services publics eau, syndicats de bassin, Météo France, Conseil départemental, Météo France, Office Français de la Biodiversité (OFB), agriculteurs, fédération départementale de la pêche, SDIS, Gendarmerie nationale, associations environnementales, etc.). Le 20 mai, la Haute-Savoie était placée en vigilance.
Le bassin versant du Chéran, auquel sont rattachées une vingtaine de communes du département, est actuellement le plus touché par la sècheresse.
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Thomas Fauconnier, secrétaire général de la préfecture, Jean-Claude Martin, maire d'Alby-sur-Chéran, Yohann Tranchant, président du SMIAC et Pierre Bruyère, président du SILA, aux côtés de représentants des services de l'Etat.
Alerte renforcée :
les principales interdictions
L’alerte renforcée a entraîné des mesures de restrictions à respecter quelle que soit la ressource (eau potable, puits, forage source privée), à l’exception de la récupération de l’eau de pluie.
Il est strictement interdit de laver tout véhicule (sauf ceux ayant une obligation règlementaire ou technique et pour les organismes liés à la sécurité), de remplir ou vidanger les piscines privées (hors remplissage complémentaire autorisé de 20h à 8h pour préserver la qualité de l’eau en maintenant la filtration et éviter des problèmes sanitaires. Pour les piscines publiques, le remplissage et la vidange sont soumis à autorisation auprès de l’ARS ou de la DDT), d’arroser les pelouses, les ronds-points, les espaces verts publics et privés, les massifs fleuris et les jardins potagers (sauf de 20h à 9h pour les arbres et arbustes plantés depuis moins d’un an). L’arrosage nocturne des potagers à l’arrosoir est toléré. L’arrosage des stades et des golfs est interdit de 8h à 20h. Concernant l’arrosage des terrains de golf, qui fait polémique sur la toile, celui-ci est autorisé en période nocturne avec une réduction de 60% du volume d’eau. Les activités industrielles et commerciales doivent quant à elles réduire de moitié leur consommation. L’irrigation par aspersion des cultures est interdite de 11h à 18h. Les fontaines publiques ou privées doivent être fermées.
«J’appelle l’ensemble des concitoyens, professionnels comme particuliers, à réfléchir sur leur consommation d’eau et faire en sorte qu’elle soit le plus raisonnée possible. Pour le dire franchement, aujourd’hui, nous ne sommes pas loin du niveau crise, d’où la nécessité absolue d’avoir des comportements réfléchis et modérés» alarme le secrétaire général de la préfecture.
Plus de 45 journées de contrôles ont déjà été effectuées par l’OFB, ciblant principalement les gros consommateurs, qui ont donné lieu à plusieurs dizaines de rappels à la règlementation et 7 procédures judicaires étaient à ce jour engagées. Ces contrôles seront renforcés dans les jours et semaines à venir. Un nombre important des services de l’Etat (dont l’ARS, la DDT, l’OFB et la Gendarmerie nationale) sont mobilisés pour veiller à l’application de la règlementation surtout dans les secteurs les plus problématiques comme le bassin du Chéran, cours d’eau le plus impacté par la situation, partagé avec le département de la Savoie. Des réflexions sur des mesures complémentaires sont en cours afin de le préserver.
Jean-Claude Martin, maire d’Alby-sur-Chéran, se dit lui aussi très préoccupé par la situation : «La commune vit avec le Chéran. Nous avons trois ponts et le viaduc de l’autoroute. En les traversant quotidiennement, nous voyons l’état très inquiétant de la rivière aujourd’hui. Ces phénomènes d’étiage qui se produisent généralement entre fin juillet et mi-août, sont apparus cette année dès le mois de mai. Je ne pensais pas que nous en arriverions là suite à la crue décennale de fin décembre». Le maire a souligné l’importance de la pédagogie, au quotidien, «Les habitants et les usagers de la rivière doivent prendre conscience qu’au-delà de l’eau, il y a aussi une biodiversité à préserver».
«La situation du Chéran est catastrophique»
Selon Yohann Tranchant, président du SMIAC (Syndicat Mixte Interdépartemental d’Aménagement du Chéran), agir rapidement devient plus que nécessaire: «Je tiens à souligner l’urgence de faire passer le bassin du Chéran en crise comme cela est en train d’être discuté en Savoie, car c’est la même rivière et les mêmes enjeux. Cela me semble absolument nécessaire même si c’est évidemment insuffisant car une fois l’arrêté pris, les usagers devront se l’approprier. J’en appelle donc au civisme et la responsabilité de chacun en réduisant sa consommation d’eau pour pouvoir surmonter ce cap difficile. Par ailleurs, nous devons nous interroger, nous élus, sur comment améliorer dès demain les conditions des milieux naturels du Chéran et de ses affluents qui sont à l’agonie. Plusieurs ruisseaux sont à sec, les truites sont sur le dos sur des linéaires relativement importants».
Plus le débit diminue, plus la température de l’eau augmente et devient létale pour une grande partie de la faune aquatique, et plus la dilution des pollutions (liées au rejet des stations d’épuration conformes aux normes pour un débit deux fois plus important) ne s’opère pas correctement et entraîne un développement algal. Le débit d’étiage est actuellement à 0,5 m3 par seconde alors que le débit «habituel» est de 1 voire 1,2 m3 par seconde, il a donc réduit de moitié.
«La situation du Chéran est catastrophique. Sur certains secteurs de la partie amont, il n’est quasiment plus visible, perdu sous les cailloux». Le président du SMIAC rappelle que le risque sanitaire est également important pour les baigneurs dans le Chéran où cette baisse de dilution augmente la pollution.
«Je ne recommande pas la baignade pour des raisons sanitaires mais également écologiques, afin de préserver l’écosystème sans ajouter du chahut dans une eau bien trop chaude, actuellement aux alentours de 25°C , soit 5 à 6 degrés au dessus de la température moyenne de la saison, ce qui est fatal pour la truite». Il recommande aussi fortement de ne pas laisser les animaux domestiques se baigner car les conditions actuelles «favorisent le développement de cyanobactéries et s’ils boivent l’eau, ils peuvent tomber malades voire en mourir. Plusieurs cas de décès d’animaux ayant bu de l’eau de rivière dernièrement ont été déclarés par des vétérinaires».
En cas de passage en crise, les mesures seront drastiques : l’usage de l’eau sera exclusivement destiné aux besoins humains (alimentation, hygiène) et à l’abreuvement du bétail.
«Les décisions
sont prises trop tard»
Pascal Grillet, président de l’Association Agréée de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques (AAPPMA) du Haut-Chéran, secrétaire de l’AAPPMA de l’Albanais et trésorier du fonds pour la conservation des rivières sauvages, s’est exprimé :
«Le comité de ressource en eau est un outil remarquablement bien conçu, qui a permis un beau travail de fond pour la rédaction de cet arrêté-cadre, mais de notre point de vue, il y a un souci dans la mise en œuvre et l’opérationnalité. Cet arrêté-cadre fixe des seuils au-delà desquels il faut prendre des mesures par anticipation pour préserver la ressource en eau. La ressource en eau, c’est l’eau potable mais pas que, ce sont aussi les cours d’eau et c’est sur cela que nous sommes intervenus, notamment via les réseaux sociaux, car nous trouvons qu’il y a trop de temps de latence ce qui est préjudiciable à tous les milieux aquatiques, et plus particulièrement au Chéran et ses affluents. Nous avons des témoignages de terrain sur nos dizaines de kilomètres de cours d’eau qui sont en train de sécher et dont certains n’avaient pas séché lors de la canicule de 2003, preuve que la situation est historiquement critique. Il y a trop d’inertie et les décisions sont prises trop tard, nous alertons depuis le début sur la nécessité de passer en crise.
La situation du Chéran est dramatique, nous le constatons tous les jours. Les perspectives sont très peu réjouissantes car nous sommes à un stade où il y a eu un fort développement algal. Ces algues vertes consomment de l’oxygène durant la nuit et si trop d’oxygène est consommé, son taux dans l’eau sera trop faible et cela pourrait provoquer la mort totale de toute la faune piscicole. Nous n’en sommes pas là, mais c’est le risque aujourd’hui, en sachant qu’il y a encore deux mois d’étiage à traverser. La prolifération de ces algues est due à l’état du Chéran. Lorsqu’il est à un débit si bas, il n’est plus en capacité d’accepter les rejets des stations d’épuration même les plus récentes comme celle de Saint-Sylvestre qui gère notamment les eaux d’Alby-sur-Chéran et qui vient d’être refaite : elle a été conçue pour un débit de 2,4m3, ce qui veut dire qu’aujourd’hui la dilution est impossible et c’est une aberration.
Nous sommes cependant contents que le préfet ait pris la mesure même si pour nous c’est trop tard. Et le plus important, quelle que soit la mesure, c’est de la faire respecter».