Villa Nirvana : un collectif vent debout contre le projet

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L'atelier Alter Ego projette la création d'un programme immobilier sur la propriété de la Villa Nirvana, dans le quartier de Boncelin. L'opération provoque de vives réactions de la part de nombreux Aixois. Face à l'ampleur de la contestation, le promoteur-constructeur organise une réunion publique ce jeudi, à 18h, au palais des congrès. Explications.

Le sujet est sensible, épidermique, et les émotions vives. L'atelier Alter Ego porte un projet immobilier sur la propriété de la Villa Nirvana, un édifice datant de la fin du XIXe siècle sur les hauteurs d'Aix-les-Bains, non loin des thermes Chevalley. Habitué des projets de réhabilitation-construction sur des sites patrimoniaux, le promoteur prévoit la création de 27 appartements disséminés au sein de la villa actuelle et de ses deux exactes répliques. Sept logements sociaux sont intégrés au programme, dont trois en PTZ (prêt à taux zéro) pour favoriser l'accession à la propriété. Une opération de 2200 m² de surface plancher et une emprise au sol de 550 m², soit moins de 8% du terrain (qui s'étend sur plus de 7 000 m²). Car l'enjeu demeure la conservation des arbres remarquables de la propriété. Et c'est un défi de taille...

Ce projet, situé en zone constructible, nécessite la modification du plan local d'urbanisme (PLU) pour pouvoir construire au-delà des 10 mètres de haut en vigueur dans ce quartier et s'aligner sur la taille de l'édifice existant. C'est en grande partie ce qui provoque l'ire de nombreux Aixois, et en particulier des riverains. Au point d'avoir monté le collectif «Sauvegarde Nirvana Boncelin» en décembre dernier après avoir pris connaissance de l'OAP (orientation d'aménagement et de programmation) visant l'endroit. Ce mouvement, très actif, s'est rapidement structuré en montant une page Facebook et un site internet. Il distribue des tracts dans les boîtes aux lettres du quartier, sur le marché, interpelle le maire, Renaud Beretti, par courrier et sur les réseaux sociaux, lance une pétition qui a recueilli à ce jour près de 2000 signatures, et a même été reçu par la présidente de la commission d'enquête. L'enquête publique liée à la modification du PLU a elle aussi généré des centaines de contributions en défaveur du projet.

«Si l'OAP disparaît et que l'on applique le droit commun, il y aura davantage de logements»

«La Villa Nirvana est classée comme Patrimoine bâti intéressant. C'est le joyau architectural des quartiers de Boncelin et Chantermerle, au milieu d’autres bâtiments classés. C’est aussi un parc planté d’arbres centenaires qui accueille une biodiversité encore préservée. Un promoteur immobilier est en passe de mettre la main sur cette propriété pour y construire deux immeubles de 18 m de haut. Le règlement qui s’applique au périmètre concerné [zone UD du PLUi de 2019 (limitation de la hauteur des bâtiments à 10 m maximum)] interdit ce genre de projet. Qu’à cela ne tienne ! Monsieur le maire souhaite apporter une dérogation à la réglementation au profit du promoteur...», dénonce le collectif, qui demande de retirer ce projet et de classer cette zone comme non constructible.

De son côté, M. Beretti rétorque qu'il ne se prononcera qu'après avis du commissaire enquêteur. Il tient tout de même à rappeler qu'il «ne s'agit pas d'un permis de construire, mais d'une OAP, qui permet de vérifier l'adéquation du projet par rapport à la réalité. Une OAP reste souple ; c'est très différent d'un permis de construire qui, une fois signé, rentre dans le droit de l'urbanisme. J'ai accepté cette OAP car elle est conforme à mon souci de ne pas trop densifier. Le projet prévoit 27 logements. Le terrain est constructible et si l'OAP disparaît et que l'on applique le droit commun, il y aura davantage de logements». Accusé de bétonner la ville, l'élu insiste aussi sur le fait qu'il a «classé le Bois Vidal comme non constructible » et que «le nombre de logements construits et de permis délivrés en zone UD depuis que je suis maire a baissé».

 

UNE VILLA À L'INTÉRÊT PATRIMONIAL RECONNU

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Cette bâtisse est classée «patrimoine bâti à protéger» au PLUi. (© MFS)

Cette villa, créée par l'architecte Jules Pin sur les hauteurs de la ville, a été construite à la fin du XIXe siècle pour l'Américain Chapin Chester William, au coeur d'un parc arboré de 7 000 m². Elle a un temps été la propriété d'un maire d'Aix-les-Bains, Edouard Dorges. L'édifice est reconnaissable à sa tour-belvédère qui relèverait davantage d'une tour-signal que d'un lieu pour observer le panorama, au regard de sa petite taille. L'ouvrage «Aix-les-Bains, carrefour des villégiatures» en dresse un portrait architectural précis : «L'édifice, qui s'inspire des constructions de la Renaissance, se caractérise par une simplicité formelle et volumétrique à l'Ouest, tandis qu'à l'Est, avec les bâtiments de différentes hauteurs qui la composent, la façade postérieure présente plus d'animation. Celle-ci s'articule autour d'un corps central, abritant la cage d'escalier et formant avant-corps, et de deux corps latéraux formant terrasse au deuxième étage. S'élevant au-dessus des toitures, le belvédère, à structure en bois couverte d'un toit à l'impériale en zinc, coiffe la tour polygonale, qui flanque le corps central.» Un garage a été ajouté en 1918.

Au PLUi, la villa affiche une étoile pleine, c'est-à-dire qu'on ne peut pas y toucher sans l'avis des spécialistes du patrimoine. Le parc, lui, n'est pas classé.

 

«UN PROJET MINIMALISTE DANS SON EMPREINTE AU SOL»

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Sacha Guinchard, à la tête de l'atelier Alter Ego, organise une réunion publique ce jeudi, à 18h, au palais des congrès. (© MFS)

Sacha Guinchard, dirigeant d'Alter Ego, explique sa démarche, les précautions et les choix architecturaux opérés dans ce projet.

Comprenez-vous les réactions que provoquent le projet ?

«Je suis habitué à essuyer des attaques contre mes projets. Même habitué, on n'est pas prêt à accueillir autant de virulence et de haine. Vis-à-vis d'un projet immobilier, beaucoup d'amalgames sont faits, et ce qui est dommage, c'est l'anonymat dans lequel souhaitent rester les gens qui en ont après le projet, et l'impossibilité de discuter. Ce n'est pas ma façon de voir les choses. Je nourris plutôt la volonté de dialogue. La situation est ce qu'elle est, et il faut la gérer au mieux.»

D'où cette réunion publique ?

«Ce n'est pas la première que l'on organise. Il y en avait déjà eu à l'occasion de Villa Katerina-Villa Russie. Beaucoup de choses intéressantes en étaient ressorties. D'ailleurs, on avait un peu modifié notre projet à son issue. Il y eu le même genre de concertation pour Lestal, une intervention sur un immeuble des années 1930. On démarre L'Orangerie à Mouxy, un autre immeuble des années 1930. On a également réalisé la pleine réhabilitation d'un immeuble militaire du XIXe siècle, à Dijon. On est habitué à ce genre de projet.»

Quelle sera votre démarche sur la Villa Nirvana ?

«L'intervention sur la Villa Nirvana sera minimaliste dans son empreinte au sol (8%), un peu plus en hauteur qu'il n'est permis actuellement, d'où l'OAP, qui permet d'aller jusqu'à 18 m de haut, pile la hauteur actuelle de la Villa Nirvana.

Dans le quartier, l'emprise au sol atteint parfois 37%...

Sur la propriété, la règle actuelle permettrait de développer 11 maisons individuelles sur des parcelles de 500 m², soit 16,4% d'emprise au sol ou un projet de permis groupé de huit fois deux maisons jumelées pour une emprise au sol de 15,3%. En s'étendant horizontalement, avec les voiries et les bâtisses, on massacrerait complètement le parc.

L'idée c'est de dire, on s'étale moins au sol, on monte un peu plus haut. L'OAP comprend aussi des mesures plus restrictives que la règle actuelle en termes de distances de construction à respecter et toute une zone qui interdit l'implantation de futurs immeubles dans le parc boisé. Une OAP est faite pour être soumise à enquête publique et éventuellement amendée par le commissaire enquêteur. Elle a la possibilité d'émettre des remarques et c'est ce débat que je souhaite.»

A qui appartient la villa ?

«La villa appartient à un chef d'entreprise qui aujourd'hui n'est presque plus là. C'est une personne avec laquelle on a eu de très nombreux échanges avant de nous mettre d'accord sur l'acquisition. Il nous a aussi sélectionnés pour nos références car il est soucieux de la préservation de la beauté de cette propriété.»

Vous avez d'ailleurs fait intervenir un spécialiste pour étudier les 58 arbres du site...

«Marc Cossin, expert forestier auprès de la cour d'appel de Chambéry, a procédé à l'examen détaillé de chacun d'entre eux. Dans son rapport, il souligne quels sont les arbres à renouveler, à préserver, comment les protéger pendant les travaux et la manière dont il convient de les entretenir. On a pu travailler sur l'implantation de nos deux répliques pour qu'elles échappent au mieux au système racinaire. Notre projet permet de préserver tous les arbres remarquables. Il intervient en partie non boisée de la propriété et ne développe aucune construction ni réseau mettant en risque les grands végétaux. On a imaginé un parking souterrain d'une soixantaine de places sur la partie plate et peu boisée devant la villa, qui évite les systèmes racinaires des arbres les plus remarquables avec l'aménagement d'un jardin classique sur la dalle de couverture. On a également fait procéder au relevé de la position de chaque arbre par un géomètre. Dix sont concernés par nos implantations.»

Pouvez-vous détailler le projet architectural ?

«Soit on prenait le parti de réaliser de l'ultra contemporain, soit on optait pour des répliques. Nous, nous avions envie de trancher, comme nous l'avions fait à Villa Katerina. Nous avons soumis les deux propositions à Renaud Beretti, qui nous a confirmé sa préférence pour les répliques.

Nous aurons 27 appartements, dont neuf de trois ou quatre pièces dans la villa existante. Elle comprend quatre étages desservis par un grand escalier central où nous souhaitons installer un ascenseur vitré. Notre intervention, extrêmement minimaliste, va consister en la réfection des façades, un recloisonnement intérieur en respectant un protocole particulier vu la richesse des boiseries, des lustres de Murano, de la marqueterie. Nous installerons des faux-plafonds pour isoler les étages et pour la sécurité incendie.

Chaque réplique abritera neuf appartements. Elles présenteront une structure moderne à l'intérieur, des planchers en béton et les normes antisismiques actuelles. Mais leurs façades seront confectionnées à partir de moulages de l'existant »

Comment allez-vous procéder techniquement ?

«Un géomètre est venu mesurer la Villa Nirvana. A partir de stations laser au sol qu'il a couplées avec des drones, il nous a livré un nuage de points. Ainsi, nous disposons de tous les détails de la villa que l'on peut redessiner au millimètre près à travers la modélisation en 3D. Les villas seront réalisées à partir de moules de coffrage. Nous avons demandé à Vicat (spécialiste de l'impression béton 3D, NDLR), de produire des échantillons avec différentes formulations de béton que l'on souhaiterait sombre.

Tout cela coûte le double de la valeur au mètre-carré d'un immeuble classique de bonne facture.»

Quel est le calendrier de l'opération ?

«Nous attendons déjà le résultat de l'OAP, puis nous déposerons une demande de permis de construire pour pouvoir démarrer le chantier l'an prochain.»

Propos recueillis par Marie-France Sarrazin

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